« De Barbon, mettez-vous avec Leroy ! »
La décision était tombée tel un couperet. De manière générale, Jolan n'avait aucun mal à trouver un binôme en cours de physique-chimie. Pour tout dire, il était très rarement tout seul. Lorsque cela arrivait, c'était qu'il avait envie de l'être. Mais là, il n'avait pas le choix : la professeure avait voulu changer les groupes habituels et, forcément, la teigne aux cheveux roses était devenue son nouveau fardeau. Point positif : elle n'avait pas l'air plus heureuse que lui de cette décision.
Jolan devait bien avouer que cela lui faisait bizarre d'avoir quelqu'un d'aussi antagoniste par rapport à lui. D'habitude, étant l'héritier du trône, il faisait face à une armée de suivants hypocrites. Au moins, Brunehilde ne faisait pas partie de cette catégorie : elle était honnête. Cependant, cela ne voulait pas dire qu'elle était plus agréable.
Il lança un coup d'œil à Jessica. Celle-ci lui répondit par un petit sourire. Il lui avait raconté l'incident du croquet et elle lui avait assuré que c'était sans doute parce que la nouvelle était... nouvelle. Qu'elle était stressée par tous les changements. Qu'elle ne pensait pas ce qu'elle faisait et disait. Sa petite amie était bien trop généreuse à son goût. Le prince était persuadé que Brunehilde était juste mauvaise.
Le seul point positif de cette histoire, c'était qu'il allait avoir une bonne note pour ces travaux pratiques. S'il était un élève plutôt moyen, ce n'était pas le cas de sa nouvelle camarade qui avait l'air de prendre comme une insulte le moindre résultat qui descendait en dessous de 16. Jessica avait bien tenté de le remettre à niveau (elle était si douée) dans cette matière, mais, pour le moment, cela avait été infructueux.
Tandis que les gens se déplaçaient, selon les indications de la professeure, à travers la place, Jolan s'installa à la paillasse de Brunehilde. Celle-ci n'avait, bien entendu, pas dénié bouger ses fesses de son siège : c'était à lui de le faire et pas l'inverse. Il laissa tout de même une bonne distance entre eux : question de sécurité, au cas où elle veuille le poignarder avec son compas. Il s'attendait à tout avec elle.
La première parole qu'elle prononça fut :
« J'espère que tu travailles. Je n'ai pas envie d'avoir à me traîner un boulet.
– Est-ce que tu vas être mal aimable pendant toute la durée de notre partenariat ou bien tu comptes me lâcher un peu ? grinça-t-il en réponse. »
Il était hors de question qu'il se laisse marcher sur les pieds par une paysanne sortie d'on ne savait où. Surtout qu'il n'avait rien fait pour mériter ça. Sa réplique provoqua un léger haussement de sourcil de la part de Brunehilde :
« Très franchement ? Je ne t'aime pas. Je sais que ce n'est pas vraiment la meilleure des choses à dire au mec qui gouvernera un jour le royaume, mais... j'imagine qu'il vaut mieux être honnête ?
- Est-ce que tu es en train de me dire que tu as décidé de me détester juste parce que j'ai raté mon coup au croquet ? »
Jolan était vraiment sur le cul. Il n'y avait pas d'autre mot. Alors elle, elle était aussi peu banale que ses cheveux. Face à cette situation, il avait deux choix possibles : soit l'accepter telle qu'elle était... soit essayer de la prendre à son propre jeu. Et après tout : qu'avait-il à perdre dans cette affaire ?
« Eh bien tu sais quoi, Brunehilde ? Moi, j'ai décidé que j'allais énormément t'apprécier. Rien que pour t'enquiquiner.
– "m'enquiquiner" ? Ah ! Y'a bien qu'un bourge pour utiliser une telle expression. Tu vas me parler de poudre de perlimpinpin dans deux minutes ou ça se passe comment ?
- Je ne suis pas un bourgeois. Je suis un noble.
- Pardon messire, ricana-t-elle en réponse. Est-ce que Sa Seigneurie va m'envoyer au cachot pour cet affront ou va-t-elle enfin me passer la fiole jaugée ? »
En effet, Brunehilde avait commencé le TP pendant que Jolan piaillait : elle n'avait pas que ça à faire que de discuter de choses futiles avec le futur dirigeant du pays. Certaines personnes devaient travailler dur pour leur avenir, elles. Et si la jeune fille aux cheveux roses voulait devenir riche, il fallait qu'elle mette tout en œuvre pour y parvenir. Cela passait par de bons bulletins. Au début, elle avait pensé à simplement se créer un réseau, puis elle s'était rendu compte qu'avec son caractère, cela serait beaucoup trop difficile. Parce que, si sur le court terme, elle pouvait porter un masque de politesse, autant sur le long...
Jolan, qui venait enfin de s'intéresser au papier qui leur avait été distribué, attrapa un des récipients en pyrex pour le lui tendre. Brunehilde l'inspecta pendant quelques secondes, l'air circonspect, avant de cracher avec irritation :
« C'est pas une fiole jaugée ça ! C'est un erlenmeyer !
- C'est pareil... rétorqua le blond tout en sachant parfaitement qu'elle avait raison. »
C'était sans doute son esprit de contradiction qui montrait le bout de son nez. La jeune fille aux cheveux roses plissa les yeux et émit un petit son de désapprobation :
« Évidemment que non. C'est beaucoup moins pratique et précis. Même pour de l'eau déminéralisée.
- Si tu le dis...
– Bien sûr que je le dis. Allez, au boulot. Je compte bien avoir un sans-faute pour ce travail. »
Il savait mieux que de débattre à ce sujet. Et puis, plus ils finiraient rapidement, moins ils auraient de temps à passer ensemble. Ça, c'était un objectif très tentant, il fallait bien l'avouer : cette fille dégageait trop de mauvaises ondes pour qu'on s'y attache.
Ce fut d'ailleurs pour cette raison qu'il préféra se ressourcer vers la personne la plus apaisante qu'il connaissait : Jessica. Celle-ci s'était elle aussi mise au travail. Son binôme se nommait Alto. Jolan ne l'avait jamais apprécié : il était beaucoup trop gentil pour être honnête. Cela cachait quelque chose. Et puis, il était tout le temps près de sa petite amie. Bien entendu, le prince se disait qu'il se faisait des idées. Il n'y avait aucune raison pour qu'il s'inquiète. Toutefois, il ne pouvait s'empêcher, parfois, de ressentir un peu de jalousie à son égard.
Alto était mignon avec ses traits réguliers, ses yeux noisette ainsi que ses cheveux bruns qui partaient dans tous les sens. Il avait été proche de Jessica depuis qu'il était arrivé en seconde et les deux se considéraient comme meilleurs amis. Et Jolan avait l'impression que, plus le temps passait, moins la blonde se confiait à lui lorsqu'elle avait un problème, préférant en discuter avec Alto. Son père était le duc de Morteuil, venu du sud quelques années plus tôt.
Et ils avaient bien l'air décidés à rester à la capitale pour un bon moment encore.
C'est pour toutes ces bonnes raisons (oui, selon lui, elles étaient bonnes : ce n'était pas du tout son côté parano qui parlait) que lorsque le brun posa une main sur l'avant-bras de Jessica, il eut envie de se métamorphoser en chat pour feuler en bonne et due forme. Et pourquoi pas transformer sa queue en plumeau aussi, tant qu'il y était. Mais c'était avec une grande tristesse qu'il fallait se rendre à l'évidence : il n'était pas un félin. Donc il se contenta de fusiller cette fameuse main du regard, comme si elle allait brûler par la seule action de ses iris.
Ce comportement peu charitable attira l'attention de Sa Teignerie première du nom :
« Quoi ? Qu'est-ce que tu reluques ? lança Brunehilde qui retirait avec un soin maniaque les quelques gouttes de liquide en trop de la fiole jaugée. »
Lorsqu'elle suivit son regard, elle sembla comprendre la situation en un clin d'œil. Un sourire narquois se peignit sur son visage et elle adresse un coup d'œil faussement compatissant à son camarade. Jolan avait envie de la claquer. Cependant, il ne pouvait pas céder à ses pulsions : la violence était strictement interdite dans l'établissement et les coupables sévèrement punis. Elle n'en valait pas la peine.
« Oh... Eh bien... On dirait que Monsieur le Prince a de la concurrence... »
Peut-être que si, en fait.
Publié le 31/10/2018.
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Fuck you, royalement vôtre
ChickLitLa première fois que Jolan de Barbon, héritier du trône de France, rencontra Brunehilde Leroy, roturière invétérée et magouilleuse à ses heures perdues, elle lui fit un doigt d'honneur. Alors comment, après une entrée en matière aussi catastrophique...