La première fois que Brunehilde avait regardé l'Exorciste, elle s'était demandée pour quelle raison les prêtes n'avaient pas essayé de conclure un pacte avec le démon pour gagner en pouvoir. Alors certes, parlementer avec une entité qui semblait avoir pour seul but dans la vie que d'insulter votre mère et de descendre les escaliers façon contorsionniste, ça n'aurait pas été une partie de plaisir. Mais franchement, est-ce que le jeu n'en valait pas la chandelle ?
Après avoir rencontré Madame de Clairefontaine, Brunehilde était clairement en train de réviser son jugement. Madame de Clairefontaine - Augustine de son petit nom – était une très grande femme dont la noblesse n'était plus très grande puisque sa famille était tombée en disgrâce une cinquantaine d'années plus tôt. Mais ce n'était pas ce qui était plus remarquable chez elle. C'était son caractère qui restait dans les esprits : même les portes de prison semblaient sympathiques à côté d'elle. Il était évident que c'était la raison pour laquelle Madame de Clairefontaine avait été embauchée comme surveillante Albert le Grand. Elle dirigeait tous les pions de l'établissement avec une poigne de fer et était la terreur des élèves. Même les petits richards prétentieux qui comptaient sur l'influence de papa-maman ne lui résistaient. Brunehilde avait donc (naïvement) cru qu'elle pourrait s'en faire une alliée précieuse. Une belle erreur de calcul.
Parce que s'il y avait une chose que Madame de Clairefontaine détestait plus que les courgettes à la crème, c'était les arrivistes. Or, Brunehilde Leroy en était une belle, d'arriviste. Et ça, Augustine l'avait senti tout de suite. Elle avait développé cette aversion depuis la chute de sa famille : elle mettait cette dernière sur le dos de tous les parvenus de la terre plutôt que sur son père qui avait été surpris dans une soirée où la légalité n'avait pas sa place. Brunehilde avait soigneusement répertorié tous les articles disponibles sur cette affaire et elle pouvait comprendre Augustine dans un sens : elle aussi aurait eu les nerfs d'avoir perdu la cuillère en argent qu'elle avait dans sa bouche depuis sa naissance. Mais Brunehilde n'était pas du genre à avoir de la pitié pour autre chose que son compte en banque alors utiliser Madame de Clairefontaine ne lui posait aucun problème moral. Toutefois, la vieille bique était plutôt déterminer à lui rendre les choses difficiles.
Lorsque la surveillante en chef l'avait trouvée devant la salle dédiée aux heures de colles, elle avait fait une tête mauvaise. Elle avait sans doute entendu toute l'affaire grâce à son subordonné imbécile et avait donc déjà son avis d'arrêté. Brunehilde aurait bien aimé dire 'tant pis pour elle', mais elle était de beaucoup trop mauvaise humeur ce matin pour ça. Si le reste de la semaine s'était bien déroulé, savoir qu'elle devrait se lever tôt samedi pour trois grognasses n'avait rien de réjouissant. Surtout quand ces dernières n'avaient toujours pas montré le bout de leur nez – ce qui laissait Brunehilde très suspicieuse quant à leur présence finale aujourd'hui.
Madame de Clairefontaine la regarda des pieds à la tête, en s'attardant particulièrement sur ses cheveux. Brunehilde en profita pour faire le sourire le plus hypocrite dont elle était capable avant de déclarer d'une voix faussement enjouée :
« Bonjour Madame de Clairefontaine ! »
Elle n'eut le droit à aucune réponse. La surveillante était trop occupée à ouvrir la porte de la salle avec une clé antique – comme s'ils n'avaient pas les moyens de changer les serrures, vraiment. Elle ouvrit la lumière sans regarder derrière elle mais Brunehilde la suivit tout de même. Alors qu'elle allait s'installer au deuxième rang – histoire de ne pas être collée au bureau de Madame de Clairefontaine –, la voix de la charmante dame l'arrêta net :
« Vous vous mettez là, s'exclama-t-elle en indiquant justement la place que Brunehilde avait évité. Je veux pouvoir vous surveiller. »
Qu'aurait pu bien faire la jeune fille durant une colle un samedi matin ? C'était un mystère mais Madame de Clairefontaine semblait avoir quelques idées là-dessus. Dommage qu'elle ne les ait pas partagées avec Brunehilde car cette dernière aurait bien aimé s'amuser un peu. Cependant, elle ne fit pas plus d'histoires que nécessaire et s'installa là où on lui avait demandé. Ça ne changeait que peu de choses au final : elle restait toujours coincée ici pour deux bonnes heures alors qu'elle était innocente. Pour une fois que c'était le cas, en plus...
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Fuck you, royalement vôtre
Chick-LitLa première fois que Jolan de Barbon, héritier du trône de France, rencontra Brunehilde Leroy, roturière invétérée et magouilleuse à ses heures perdues, elle lui fit un doigt d'honneur. Alors comment, après une entrée en matière aussi catastrophique...