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« Attends ! m'écrié-je, en me lançant à sa poursuite. »

Je tourne au coin de la rue. Désert.

C'est alors que j'entends des éclats de voix masculines. Plus je me rapproche, plus je sens qu'il y a de l'eau dans le gaz.

Guidée par la dispute, je débouche sur un terrain vague en bord de canal, où sont entassés des containers bleu pétrole.

Je me cache derrière l'un deux, et tente de maîtriser ma respiration pour faire le moins de bruit possible.

Devant moi, trois hommes semblent régler leurs comptes. Et parmi eux, le garçon qui a voulu me voler mon sac. Je le reconnais à sa silhouette fluette face aux deux autres mastodontes, que je devine plus âgés.

« Qu'est-ce que tu as foutu ? s'énerve le premier gars baraqué, de sa voix bourrue.

-Tu n'as rien ramené aujourd'hui ! aboie son compagnon, les poings serrés. »

Je n'entends pas la réponse du jeune homme, mais le ton qu'il emploie est calme et posé, peut-être pour maîtriser les tremblements de sa voix.

Puis une des deux brutes le saisit par le col, le soulevant devant lui en hurlant des obscénités. Le garçon essaye de se dégager, en vain, ce qui semble enrager encore plus l'autre homme, qui lui envoie son poing dans le ventre. Une pluie de coups vient alors s'abattre sur lui, et il tombe à genoux, plié en deux.

Je suis horrifiée.

Une colère sourde s'empare ensuite de moi, j'aimerais sortir de ma cachette et plonger le défendre, crier l'injustice ! Mais je n'ai rien à voir avec cette affaire, et je me ferai ratatiner aussi.

Je me recroqueville un peu plus à chaque coup encaissé par le jeune homme. Il est presque à terre maintenant, mais les deux autres continuent !

Je ferme les yeux, ne supportant plus ces images de violence. Mais bientôt l'odeur métallique et amère du sang m'emplit les narines, roulant dans l'air chargé d'électricité tel un serpent visqueux, jusqu'à le saturer, le souiller comme ce sang tâchera la terre neutre.

Quand un bruit sourd résonne, je m'autorise à rouvrir les paupières : le garçon est affalé au sol, et les deux brigands s'enfuient à toute allure.

Misérables lâches !


J'écoute leurs lourds pas résonner dans la nuit froide, et n'ose toujours pas esquisser le moindre geste même lorsque je suis certaine qu'ils sont partis. J'avale lentement ma salive, car j'ai comme un goût de bile sur la langue, une sorte de mal aise coincé dans la gorge.

Puis je me résigne et fais un pas en avant, les membres tout engourdis.

Je me dirige lentement vers le jeune homme. Est-il encore en vie ?

Dès que je m'agenouille près de lui, il a un petit sursaut, comme s'il avait peur de recevoir encore un coup.

Il relève la tête, l'air grave, et quand il me reconnaît, il écarquille les yeux. Il doit me prendre pour une dingue, et je pense qu'il a raison à cet instant !

Je lui tends la main, en essayant de sourire. Le garçon demeure interdit.

Puis il saisit mon bras et on se soulève mutuellement, quoique, avec un peu de mal.

Il peine à tenir debout. Je ne sais pas quoi dire. Et lorsque, dans la lumière blafarde d'un réverbère voisin, je découvre ses blessures, j'étouffe un cri.

Sa lèvre et son arcade sourcilière saignent, il a quelques plaques rouges et des bleus déjà en formation un peu partout. Je n'imagine pas le reste.

Ses yeux sont plantés dans les miens, il reste digne malgré tout ça. Je prends la résolution de l'aider :

« Je vais te ramener chez toi, dis-je. »

Je suis surprise par ma propre voix assurée.

« Quoi ? croasse-t-il. »

Le garçon est alors pris d'une violente quinte de toux, et crache sur la terre humide.

« Bon... OK, acquiesce-t-il, en observant d'un air dégoutté les petites flaques de sang éparpillées ça-et-là. »

SON sang.

Il boîte vers moi, et je prends doucement sa main. Il s'arrête, et ses yeux fouillent les miens.

« Merci, souffle-t-il, en portant l'autre main à son cœur. Vraiment. »

Je n'arrive pas à articuler un mot.

On s'engage alors dans la traversée la plus lente et la plus compliquée que je n'ai jamais faite de ma vie.

Le jeune homme a la respiration sifflante, il claudique faiblement, mais continue à mettre un pied devant l'autre, pendant que je le soutiens physiquement et moralement. Heureusement, on ne croise presque personne dans ce quartier inconnu.

Les bruits de la ville sont encore plus étouffés par ici, ce qui crée un atmosphère calme et relaxante. On perçoit un léger chant d'oiseaux, en bordures de maisons, qui s'amplifie de pas en pas. J'ai l'impression qu'ils nous encouragent. C'est étonnant comme la nature ressort une fois que le tapage humain a diminué.

Le jeune homme fixe le bitume, un peu honteux d'avoir embarqué une étrangère dans son histoire. Ou alors c'est pour éviter de se casser la binette dans un nid-de-poule.

En tout cas, jamais je n'aurais imaginé me retrouver dans une telle situation.

Je ne sais même plus qu'est-ce que je fais là, j'ai totalement oublié ma famille qui doit sûrement m'attendre.



Virée nocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant