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Sa voix demeure la même que dans mon souvenir. Grave, profonde, et apaisante. Isaac se retourne vers moi, et je trouve cet instant si magique! J'en ai presque les larmes aux yeux de croiser à nouveau ses prunelles pétillantes.

Je suis figée sur place, hallucinant. Je devrais prendre davantage en compte la voix de mon instinct, la prochaine fois.

Le seul truc que j'arrive à bafouiller, c'est :

« Comment as-tu su que c'était moi ? »

Il ne fais pas le moindre geste, lui non plus. Le sourire qui illumine son visage est le plus beau des trésors.

« J'ai reconnu ta façon de marcher et ton souffle rapide...

-Ah, j'ai une façon d'avancer, moi ? croassé-je, me rapprochant de lui. »

Je m'arrête tout près du jeune homme, qui se relève lentement. Nous nous faisons face, émus, et il lève la main pour me caresser tendrement la joue. Il a l'air en pleine forme, et ça me rassure beaucoup.

Puis, dans un élan commun, on se précipite dans les bras l'un de l'autre. Je ne pensais plus jamais retrouver cette étreinte intime... là, je crois que je pleure vraiment.

Son odeur de savon et de menthe que j'aime tant m'envahit, accrue par la chaleur, et je ferme les yeux, enfin comblée. Je m'autorise à passer les doigts dans sa chevelure douce, et je le sens resserrer son emprise sur le creux de mon dos.

On est bien là... on dirait presque un mirage.


On s'écarte à contre-coeur après un moment indéfinissable et ses bras glissent sur mes hanches.

« J'ai eu tout le temps d'analyser ta démarche, quand je t'ai filée la première fois, explique Isaac, avec un air contrit. »

La réalité me frappe de plein fouet. Je veux tout savoir, à présent.

« Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? murmuré-je, tandis que nous nous installons côte à côte. »

Le panoramique est encore plus magnifique d'ici, mais je ne vois plus que le garçon.

Il soupire.

« Je t'ai cherché, Isaac, je t'ai cherché et tu n'étais plus là, reprends-je, dans un regain d'angoisse. »

Il m'effleure les tempes sans rien dire, apparemment très touché par mon obstination à le retrouver.

Et il se lance enfin dans les explications :

« Mon existence n'a pas toujours été comme ça... à l'époque, la vie familiale était paisible et je ne manquais de rien, commence-t-il, le regard tourné vers l'horizon. »

Je sais cependant que ce n'est pas le paysage qu'il contemple, mais ses souvenirs...

« Et puis mon père a été viré de son entreprise. À partir de ce moment, la situation s'est dégradée. Mes parents se prenaient la tête à longueur de journée. Moi, j'étais encore jeune, je pensais qu'ils allaient se réconcilier un soir et que tout allait repartir comme avant. Mon grand frère, lui, était sombre. Et il avait raison. Quelques années plus tard, ma mère est partie. Ils ont divorcé. Je me rappelle de longues disputes et périodes de crises qui avaient achevé de la convaincre. »

Il se tait tout à coup. J'attends qu'il se reprenne, attentive.

« Je ne sais pas si je lui pardonnerai un jour de nous avoir abandonnés, crache-t-il alors, et son aveu me brise. Et puis tout s'est mis à déconner vers la fin de mon collège. Mon père essayait de retrouver du travail, en vain, pendant que mon frère avait de mauvaises fréquentations. Il fallait se serrer la ceinture et les mois étaient longs et durs. Ils se sont souvent disputés, et moi, j'allais m'enfermer dans ma chambre et je me bouchais les oreilles. Ça me rappelait quand maman était à la maison. »

Virée nocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant