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Quand nous arrivons enfin en vue de son appartement, je suis aussi essoufflée que lui. C'est un petit studio collé à d'autres habitations, avec un beau saule pleureur qui retombe devant les marches du perron discret. Du lierre court sur les murs irisés, semblant s'étaler depuis des années, et une gouttière grimpe sur le toit d'ardoises aux reflets bleus et mauves.

Il y a un certain cachet, mais la nuit embellit souvent les choses.

Le jeune homme se débat un moment avec ses clés et la vieille poignée, puis on rentre enfin chez lui.

Il a l'air à deux doigts de s'effondrer.

J'avise rapidement les lieux : c'est assez propre et bien rangé; et remarque que c'est un autre bon point pour ce garçon mystérieux. Nos foyers sont le reflet de notre personnalité, car nous les aménageons selon nos goûts et notre motivation.

« La salle de bain, réussit-il à articuler, entre deux quintes de toux. »

Il me désigne la porte du fond, et je l'accompagne. J'ouvre le battant, et il se laisse tomber sur le rebord de la baignoire.

« Tu as du coton, du désinfectant, de la pommade ? demandé-je, en retirant mon manteau et mon écharpe. »

Pas de réponse. Je me retourne : le jeune homme a la tête dans les mains, l'air perturbé. Ce qui est tout à fait compréhensible.

« Oui, dans les placards blancs au-dessus du lavabo, reprend-t-il enfin. »

Nos regards se croisent et je me sens déroutée. Il a quelque-chose d'attirant, d'unique, sans que je parvienne à savoir quoi, et je n'arrive pas à me détacher de ses yeux sombres et profonds.

Je pivote avec un air gêné quand le moment se prolonge un peu trop longtemps, et farfouille entre les produits d'entretien jusqu'à trouver ce que je cherche.

Je me rapproche tout en débouchant le flacon, et m'agenouille devant le jeune homme.

Nouveau coup d'oeil.

C'est peut-être le côté dramatique de la scène que je trouve si beau.

Ou juste lui.

J'humidifie le coton, et lève la main avec un air désolé :

« Ça va piquer. »

Il semble muet. Je me trouve stupide : ces trois gouttes d'alcool ne sont rien par rapport à ce qu'il vient d'endurer.

Le garçon a un léger recul quand je tamponne sa plaie à l'arcade sourcilière, mais il paraît supporter le reste. Il m'observe tandis que je m'occupe des autres blessures avec une grimace.

On ne dit rien. De toute façon, je ne vois pas pourquoi il faudrait toujours parler. On peut faire passer beaucoup de messages, sans un mot. J'aime communiquer dans d'autres langages, parfois laissés de côté.

Le jeune homme n'a pas l'air bavard non plus.

Le coton prend rapidement des tons rouges, noirs, marrons, et se déteint petit à petit. J'imagine que c'est de la peinture. C'est fantastique la peinture. On peut représenter la vie à travers des œuvres d'art.

Certains préfèrent masquer la vérité en inventant des alternatives. Je choisis de l'embellir.

Il n'y a plus un bout de blanc sur ce coton, je le jette et en change.

Le garçon a déjà meilleure mine. Sa façon de me regarder me fait sourire : on dirait qu'il pense qu'il vient de dénicher un trésor. Ses yeux se sont rallumés, ils pétillent un peu plus à chaque seconde.

Virée nocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant