11. Pacify Her

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Je me souviens de cette comptine que me chantais Maman, parlant de Blue Boy, un petit garçon toujours fatigué.

"Little Boy Blue,

Come blow your horn,

The sheep's in the meadow,

The cow's in the corn.

Where is the little boy

That tends the sheep?

He's under the haystack,

Fast asleep."

Elle me la chantait toujours, d'une voix cassée et fatiguée, avec une haleine oscillant entre le whisky et le pastis. Toussait souvent, pleurait parfois, sans jamais me déposer un baiser sur le front. Me balançant un sec "Bonne nuit", me fourrant la tétine dans la bouche, puis retournant sur le canapé en traînant sa lourde bouteille, devant la télé, où passait en boucle des publicités sur la chirurgie plastique qui faisait sa pleine expansion dans la société. Je ne m'endormais jamais. Je jouais à mordre le caoutchouc de ma tétine Binky, à la tourner dans tous les sens, je parlais à mes jouets et leur racontait des histoires. Parfois j'écoutais le son de la télé grésiller et Maman tomber, Maman pleurer, Maman jeter son verre, Maman crier. Mais je ne disais rien. Je ne savais pas ce qu'il se passait. Pourquoi Maman pleure et crie aussi fort qu'un nouveau né réclamant son biberon ? Pourquoi du noir coule de ses yeux et des touffes de cheveux se retrouvent, arrachées de son crâne, sur le tapis du salon ? Pourquoi ses jambes devenaient tremblantes au point qu'elle tombe par terre juste en faisant un pas pour se diriger vers la cuisine ?

Puis, quand Maman allait se coucher, je fermais les yeux et chantais la comptine qu'elle m'avait fredonné quelques heures auparavant. Ces soirs là, je rêvais, je faisais un rêve qui faisait tanguer mes sentiments du plaisir à la colère, de la tristesse au désir, de l'amour à la vengeance. Ce rêve, je m'en souviens. Ce rêve, je l'ai fait tant de fois, que je pourrais en faire un film entier.

Dans ce rêve, j'étais dans un lit à barreaux géant. Tous mes jouets étaient là. Je jouais avec eux, je riais aux éclats. Je riais si fort que même les cris de Maman n'avait rien à rivaliser aux miens. 

La porte de mon lit s'ouvre. Y entre un homme à la peau bleue, aux cheveux noirs et en costume noir, tenu par la main par une fille un peu plus âgée que moi. Elle lâche sa main frêle et fébrile, puis s'éloigne de lui.

S'installe alors un silence gêné. Il n'ose pas me regarder, mais moi, je le fixe. Je le dévisage, j'observe chaque partie de sa peau saphir. Je chasse les bouclettes blondes et brunes de mon visage et m'approche, à quatre pattes, tout doucement, de son visage baissé. 

Je ne suis qu'à une dizaine de centimètres de lui. Je sens d'ici son souffle s'accélérer. A-t-il peur ? Ou peut-être a-t-il envie que je m'approche plus ? 

Mes lèvres effleurent maintenant les siennes. Je sens les veines de son visage palpiter. Mais non, je ne vais pas l'embrasser. Je me penche un peu plus vers lui, ma bouche se trouvant maintenant au creux de son oreille.

"Calme la."

Ma langue à parlé toute seule. Je vois dans son regard un délicieux mélange d'incompréhension et de terreur. Un sourire narquois aux lèvres, je reprends la suite de mes paroles.

"Je sais que tu ne l'aimes pas. Arrête de faire semblant."

Un hoquet de surprise le secoue. Je ris nerveusement.

"Pourquoi tu ne viens pas jouer avec moi ? Ce sera moins fatiguant de t'occuper d'elle," dis-je en reculant ma tête pour lui sourire. Il me sourit timidement en retour. Je lui prends sa main et le tire vers moi. Je sens dans son poignet son cœur s'accélérer dangereusement. Tout ceci m'emplit d'excitation.

Son bras, si frêle et froid, se laisse alors machinalement emporter par la force de mon corps. Je ne saurai jamais si le fruit du hasard a décidé de jouer en son sort où si une part de volonté émanait de ses pensées, mais il s'écroula alors sur moi avec une délicatesse que je n'eus jamais connue. Relevant alors son doux visage de mon épaule, ses joues se tintèrent de violet, mais il resta immobile. De longues secondes ou minutes passèrent, ses yeux plongés dans les miens, son bassin au dessus de mon ventre, son souffle chaud saccadé sur mon visage. Nos cœurs battaient désormais à l'unisson. Un étrange sentiment m'emplissait tout entière, de mon bas ventre jusqu'à la pulpe de mes doigts. Un sentiment, comme si j'avais envie de plus...

"Désolé... E-est ce que ça va?"

"Baise moi", lui répondais-je sèchement.

Son échine se courba d'un frisson et son regard se figea. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. 

"Baise moi... s'il te plaît..." répétais-je d'une voix plus douce.

Ne détectant aucune réaction de sa part, je pris délicatement sa tête d'une main, la glissant sans ses cheveux ébène, et la rapprocha de la mienne. Ses lèvres froides contrastaient à merveille avec le feu qui brûlait en moi.  Il ne me repoussa pas. Il se contenta de suivre la danse du baiser au fur et à mesure que les minutes passaient. Je me sentais si bien. Je ne voulais pas que ça s'arrête. Je voulais que cela dure pour toujours. Pour toujours.

Un pleurnichement bruyant vint interrompre ce précieux moment. Cette salope qui l'accompagnait, tétine à la bouche, venait récupérer son jouet humain. D'un air désolé, il se releva et ouvrit la porte du parc, sans même me jeter un regard d'aurevoir. Son caprice terminé, cette garce lui prit fermement la main et sortit de la pièce, son corps penaud sur les talons.

Je me souviens alors qu'à ce moment là, je hurlais et pleurais, me réveillant alors par le contact de l'eau salée qui roulait doucement le long de mes joues.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 12, 2019 ⏰

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