numéro quatre

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Mes doigts appuient sur les notes d'abord timidement et calmement puis la tension monte, le volume et l'intensité aussi. Je me fais un peu plus envoûter dans mon morceau à chaque note jouée.
Je me sens ailleurs, dans un autre monde. Je flotte complètement, les yeux mi-clos.

Le piano a toujours su me faire voyager très loin mais cette fois-ci est spéciale. C'était ce dont j'avais besoin pour faire mon deuil. J'avais besoin de jouer ce morceau qu'il aimait tant. Jusqu'à présent j'étais pétrifiée à l'idée de le jouer, ma peine était trop lourde mais je viens de perdre un poids énorme.

Un reniflement me fais sursauter. Ma mère, sur le seuil de la porte de ce qu'il fut autrefois le senctuaire de mon père, me regarde avec un air mauvais.

-Putain mais regarde-toi ma pauvre fille, s'il était encore là il aurait honte de toi. S'il était encore là...

-Oui mais il n'est plus là ! Il est mort et c'est comme ça, ok ? Personne ne pourra jamais changer ça. Alors tu peux te voiler la face, faire comme si tout allait bien mais ce n'est pas mon cas. Oui je suis triste parce que je l'ai perdu mais j'apprends à tourner la page puisque rien ne sert de ressasser le passé. S'il était encore là, comme tu dis, je ne serais probablement pas dans cette situation, et s'il était encore là, il detesterait probablement que tu parles à sa place.

Elle ne dit rien, surprise. Alors je décide de vider mon sac parce que c'est la première vraie conversation qu'on échange depuis deux ans.

-Je sais qu'il te manque mais j'ai besoin d'une mère, hurlé-je comme une détraquée. J'ai besoin de ma maman. T'étais où quand j'avais besoin de toi, hein, t'étais où ? Tu ne m'as pas adressé la parole depuis plusieurs semaines et la dernière fois que tu l'as fait c'était pour me rappeler à quel point je suis une moins que rien. J'ai besoin de ma maman, répété-je dans un son à peine audible.

Elle me regarde désormais comme si elle venait d'avoir une révélation.

Elle court jusqu'à moi, en pleurs et me sers dans ses bras. J'en avais presque oublié son odeur.

-Je suis tellement désolée, ma grande fille. J'ai toujours cru que sa mort ne t'avait pas affectée. Je n'avais pas la force de voir la réalité en face. Je sais que ça va être compliqué, mais je vais essayer de me rattraper.

-Alors commence par virer de chez nous le porc qu'est dans ton lit.

Ce matin, me réveiller est la chose la plus étrange qu'il ne m'est arrivée depuis des lustres. Je me sens différente, délaissée d'un poids que je trainais derrière moi partout où j'allais depuis plus de deux longues années.

Vibration sur ma table de chevet.

De Oscar :

On se voit aujourd'hui ? ;)

Je me surprends à sourire comme une idiote. Je sais que je vais souffrir, je sais que l'attention qu'il me porte sera envolée dans quelques temps, je sais qu'hier encore il était dans le lit d'une autre mais je ne peux m'empêcher de sourire et de lui répondre.

À Oscar :

Je ne sais pas, mérites-tu ma compagnie ?

Il faut quand-même que je me fasse désirer un petit peu.

Je me surprends encore plus à attendre impatiemment sa réponse, les yeux rivés sur mon écran.

De Oscar :

La question ne se pose même pas

Je me force à me lever et à aller déjeuner seulement pour le faire patienter.

À Oscar :

Oui c'est vrai, tu ne mérites définitivement pas ma compagnie ;)))

Je reçois un appel, pourquoi il m'appelle cet idiot ?!

"Je serai devant chez toi dans une demie heure."

Voyant que je ne dis rien, il continue dans sa folie.

"Je ne te demandes pas ton avis, à tout de suite."

Et il se contente de raccrocher. Grrrr j'ai envie de taper contre les murs.

J'ai passé une demie-heure à me demander si il allait réellement venir. J'ai ma réponse à 11h00 quand la sonnerie retentit.

J'ouvre la porte avec l'air le plus blasé dont je suis capable. Mais en le voyant tout sourire je ne peux m'empêcher de faire de même.

-Bon tu vas me faire entrer, ou quoi ?

-T'es pas possible, déclaré-je en secouant la tête.

On est sur mon lit entrain de parler de tout et de rien avec Do I Wanna Know? des Arctic Monkeys en fond quand une idée germe dans ma tête.

-Ça te dit qu'on bouffe et qu'on aille faire un tour de moto ?

Son sourire s'agrandit et il m'assure qu'il "est grave chaud".

Je le regarde nous préparer des pâtes à la sauce tomate.

-Si il y avait du bœuf dedans ce serait bien meilleur, grogne-t-il dans sa barbe.

Il me charit depuis que je lui ai dit être végétarienne.

Je suis agréablement surprise par le rendu de son petit plat.

-C'est trop la honte de monter derrière une meuf, boude Oscar qui refuse de monter derrière moi sur ma moto.

-C'est trop la honte d'être sur la même moto qu'un putain de macho.

Regard meurtrier.

-Tu me saoules, s'exaspère-t-il.

J'arrive enfin à la faire monter en lui rappelant que, de toute façon, il ne sait pas conduire donc c'est la seule solution.

C'est en s'éloignant de la ville que le moment devient vraiment magique. Nous roulons sur une route entourée de sapins qui filtrent le Soleil dans de sublimes rayons.

Le vent fait voler mes cheveux dans tous les sens. Oscar est donc entrain de les manger. Littéralement.

-Ta gueule et profite de la vue un peu.

Tout mon corps répond à ces images qui me feront rêver encore longtemps. Je me sens tellement libre, tellement vivante.

Grâce aux rétroviseurs, je vois au regard émerveillé d'Oscar qu'il se sent tout aussi vivant que moi.

J'arrête la moto sur un parking désert.

-Pourquoi on s'arrête là ?

Je lui tapote ma place pour le faire s'avancer à la place du conducteur. Il ouvre grand les yeux et la bouche.

Le voir comme ça me fait rire, je le prends rapidement en photo.

On passe le reste de l'après-midi à rigoler enfin surtout lui parce qu'il m'a fait quelques frayeurs et j'ai eu peur pour ma moto plusieurs fois.

Je lui crie dessus, il rigole et accélère.

Je crois qu'il s'amuse.

-Merde, c'est ma mère, dit-il en décrochant son portable.

Il marche en hochant la tête, et revient après avoir raccroché.

-Je dois y aller ma mère veut que je rentre pour bosser parce que "demain il y a cours, Oscar !", rit-il en mimant les guillemets.

Je le ramène devant chez lui.

-Et mon bisous, quémande-t-il en tendant la joue.

Je rigole et pose mes mains sur mes hanches.

-Toi en premier.

Il rigole et s'approche de moi. Il pose ses lèvres sur ma joue un peu plus longtemps que nécessaire.

-Tu piques avec ta barbe.

-T'es irrécupérable, Cass Renault.

La fille qui crééait les nuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant