One Shot

Douceur virtuelle [1/2]

[NekSan, OrelFeu]

Un son clair se fit entendre dans l'appartement. Une légère lumière d'un écran allumé. D'un geste précipité, une main s'extirpa de la couverture lui servant de cachette pour récupérer l'objet brillant. Rapidement, l'écran fut déverrouillé pour dévoiler un nouveau message. Un sourire. Une légère morsure de la lèvre inférieure. C'était le même cirque depuis deux semaines maintenant. Un échange secret s'était mis en place sur un réseau social. Au milieu des tonnes d'actualités différentes, des profils virtuels, des contenus divers et variés, une conversation avait démarré. Tout avait débuté après la publication d'une photo, un commentaire, un cœur déposé sur ce contenu si futile et l'échange venait de se mettre timidement en place. Cet inconnu avait attiré son attention. Par un simple commentaire. Une flatterie grossière. Mais cela avait suffit à capturer son attention pour de bon et il avait répondu à ce commentaire dans la foulée. Suite à quoi l'inconnu avait répondu en privé, préférant sans doute avoir un peu d'intimité dans ce lieu si cancérigène pour la vie privée. En quelques semaines seulement, les deux êtres avaient échangé beaucoup, ne cessant de communiquer à toute heure de la journée. L'inconnu avait enfin un nom et un visage. Il se nommait Aurélien. Et les quelques photos qu'il avait pu obtenir de lui laissaient apercevoir un physique particulier. Une chevelure brune assez longue, brillante mais rarement coiffée. Un doux sourire enfantin. De petits yeux pétillants mais teintés d'obscurité. Cette image semblait en parfait accord avec la personnalité qu'il découvrait petit à petit. L'inconnu commençait à disparaître pour laisser place à l'Aurélien. Sans raison particulière, il avait réussi à prendre de plus en plus de place dans son quotidien. Repoussant chaque nuit un peu plus l'heure de son couché pour maintenir cet échange en place. Une certaine alchimie s'était développée, créant un certain besoin. Une légère dépendance virtuelle.

Ken était caché sous sa couette, en boule, son téléphone à la main. Le jeune homme avait les yeux rivés sur son écran, attendant une nouvelle notification avec impatience. Du haut de ses vingt-huit ans, rien ne le poussait plus à se lever désormais. Après une rupture difficile il y a trois ans, il s'était muré dans son appartement, laissant de côté sa vie sociale. Il avait eu beaucoup de mal à se relever après avoir appris qu'il avait été trompé un bon nombre de fois. C'était une situation qu'il n'avait pas supporté, se laissant happer par la solitude et l'isolement. C'était bien plus facile de se laisser glisser vers le bas. Mais maintenant, cette solitude lui pesait énormément, il se sentait étouffer. Plus rien ne venait le motiver à reprendre sa vie en main. Il n'avait même plus de travail. Le jeune homme avait dû chercher un autre moyen de gagner de l'argent et s'était retrouvé à dealer comme un misérable dans son quartier. Au moins, ses revenus bien qu'illégaux lui suffisaient amplement à vivre. Son loyer n'était pas excessif, et heureusement au vue de l'épave qu'était son petit appartement. Dans le genre insalubre, on ne faisait guère mieux. Mais ça lui convenait malgré l'humidité plus qu'envahissante, le chauffage inexistant et l'isolation précaire. Le jeune homme entendait si bien la vie de ses voisins qu'il avait presque l'impression de vivre en colocation avec eux. C'était d'une tristesse sans non, mais ses revenus ne lui permettrait pas d'espérer mieux.

Le garçon virtuel était devenu un ami au fil des conversations. Cela faisait longtemps que Ken n'avait pas réellement eu de discussion avec quelqu'un d'autre, alors c'était un peu troublant au début. Il se posait encore beaucoup de questions. Pourquoi ce type lui répondait toujours après qu'il lui ait raconté sa petite vie minable ? Pourquoi il avait cette étrange impression que quelque chose n'était pas normal ? Le parisien avait plusieurs fois demandé à son nouvel ami de venir le rencontrer dans le monde réel, mais à chaque fois il avait refusé. C'était quelque chose qui troublait le jeune brun. Pourquoi ne pas vouloir le voir ? Est-ce qu'il avait peur qu'ils n'aient rien à se dire en face ? Pourtant sur internet, ils trouvaient toujours des sujets de conversations. Le courant passait très naturellement entre eux. Un peu frustré, le jeune dealer se mordait le pouce en lisant les derniers messages de son contact. Lui avait très envie de le rencontrer, de pouvoir entendre son rire. De mettre un son sur ses mots. Sans vraiment s'en rendre compte, il se laissait petit à petit complétement happé par cet étrange individu. Cette nuit encore, Aurélien avait refusé de le rencontrer. Ken savait qu'il forçait un peu avec ça, mais c'était très important pour lui. Lisant le message du garçon, un soupire de frustration quitta ses lèvres.