Sans Fin

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Edit : Ayant supprimé l'autre recueil, j'ai juste pris soin de sauver le peu d'écrits que j'avais osé posté.



[OrelGringe]


" Bonsoir l'ami, ça faisait longtemps que je n'étais pas revenu vers toi. Ce soir j'ai besoin de toi, j'ai besoin que tu m'entendes. Dis, tu connais certainement le terme de mélancolie, je me trompe ? Ce mot si commun qui représentait à la base l'humeur noire, la bile. Charmant n'est-ce pas ? C'est un mot que je déteste. Je pense que je ne l'ai jamais autant détesté que ce soir. Tu sais pourquoi ce soir en particulier ? Et bien, parce que cela fait maintenant cinq ans pile que je suis sans nouvelle de lui. Il a disparu. Peut-être bien pour toujours ? Je m'excuse de ne pas t'avoir tenu au courant l'ami, mais je ne pouvais pas te le dire. J'ai passé ces cinq années à essayé de me reconstruire. Spoiler alert : Se reconstruire après ça, c'est comme essayer de trouver un sens à l'existence, ça ne mène à rien.

J'ai honte de ce que je vais écrire mais il faut que tu le saches, je ne suis pas capable de m'exprimer de vive voix alors je te demanderais simplement de me lire. La psy' m'a dit que je devais tout écrire. Absolument tout. Je ne pense pas que griffonner mes moindres pensées sur ce cahier aura un quelconque impact sur mon état actuel, mais je n'ai plus rien à perdre. C'est triste à dire, mais il était la seule chose que j'avais encore à perdre, et il a disparu.

Au départ, je n'y croyais pas. Je me souviens très bien de ce matin-là. Il était sans doute près de 15h, et je m'étais levé en espérant le voir étalé sur le canapé comme à son habitude. Seulement il n'était pas là. Ni dans aucune des pièces de l'appartement. Il avait disparu, sans laisser de traces. Nos potes n'étaient au courant de rien. Personne ne l'avait vu. Sa copine de l'époque est même venue me voir en pensant qu'il se terrait chez moi. Mais il n'était nul part. Du moins, il n'était plus dans notre nul part à nous.

Pendant des semaines j'ai pensé que c'était une blague, ou qu'il avait besoin de réfléchir. Il avait toujours eu tendance à s'isoler quand ça n'allait pas, j'avais décidé de ne pas m'en formaliser plus que ça. Pour moi, il allait revenir. Il devait revenir. Mais il n'est jamais revenu. Et cette dernière image de son visage me laisse un arrière goût amer dans la bouche. J'ai encore du mal à regarder son visage, encore plus de mal à soutenir son regard sur les images. Ses yeux sont ce qui me manquent le plus. J'ai tant aimé la bienveillance de son regard sur moi durant toutes ces années. J'ai tant aimé la joie, la tristesse, le déni, la peur, la colère et encore bon nombre de sentiments qui ont défilé dans ses iris. C'est incroyable le nombre d'émotions qui défilent au travers de deux petites boule oculaire durant une vie entière.

Tu sais l'ami, j'ai beaucoup pleuré. Je ne pensais pas pleurer autant pour lui. Je n'aurai jamais imaginé que je puisse pleurer autant pour qui que ce soit.. Mais c'est arrivé. Et ça continuera, sans cesse. C'est sans fin. C'est sans conclusion. C'est et ça restera inachevé. Inachevé, comme notre histoire. Jamais plus nous ne pourrons imaginer un lendemain avec l'autre. Jamais plus je ne pourrais dire "nous". Nous est une forme qui a disparu. Il est parti avec sa moitié, et m'a laissé giser dans les décombres de notre passé avec la seconde parti de ce nous.

Je ne pensais pas que sa disparition soudaine me changerait à ce point. Ça non plus je ne m'y attendais pas. J'ai l'impression que j'ai trop longtemps vécu dans l'illusion. L'illusion de pouvoir vivre avec lui pour l'éternité. L'illusion procurait par cette bulle de bonheur qui nous entourait. Quand je repense à tous les moments que nous avons passer ensemble dans notre appartement.. Je me dis que je n'étais tout simplement pas préparé. J'avais l'impression d'être invincible avec lui à mes côtés. L'impression que le monde était nôtre, que j'avais de la chance, qu'il fallait redoubler d'effort pour écrire nos textes de rap. Ce mot aujourd'hui me parait bien dérisoire. Depuis son départ, je n'ai plus écrit une ligne. Pas un seul foutu mot. Quand il est parti, il a pris mon inspiration avec lui. J'ai lutté pour la retrouver, crois moi l'ami, j'ai essayé. A la sueur de mon front, à l'encre de mes larmes, à la plume de mon désespoir.. Mais rien n'y fait. C'est sans fin.

En ce moment, j'ai l'impression de me noyer. Cette métaphore de la noyade n'est pas anodine, contrairement à ce que l'on peut penser. J'ai vu assez de psy pour savoir que lorsqu'elle est employée, cela ne présage rien de bon. Mais c'est réellement l'impression que j'ai. Alors que j'essaye de dormir, je sens que je suffoque, que je m'étouffe, je ne parviens plus à respirer convenablement.. Chaque nuit j'ai l'impression de caresser la mort. Sa disparition ne m'a rien laissé, si ce n'est des morceaux de souvenirs Tranchant, entaillant à chaque seconde un peu plus mon cœur. Il ne me reste que des souvenirs. Des souvenirs et des regrets. L'ami, si tu savais le nombre de choses que je regrette aujourd'hui. Et j'en regretterai encore plus demain. C'est sans fin. Ça ne cessera jamais.

Longtemps, trop longtemps, j'ai essayé de le chercher. J'ai parcouru ce que je pouvais parcourir. Fouiller partout où je le pouvais. Tu n'imagines pas comme c'est usant l'ami. Tu n'imagines pas combien je me suis brisé à faire ça. J'ai senti mon corps lâcher, ma volonté se briser en morceaux, j'ai vu le passé s'emparer de mes rêves pour les transformer en cauchemars sordides. J'ai vu son visage se transformer en poussière dans mes songes, son corps se liquéfier entre mes doigts.. Tu sais l'ami, depuis, j'ai appris la définition du mot "manque". C'est affreux le manque, je ne pensais pas que ça me ferait cet effet là. J'ai toujours su que j'étais instable, intenable, mais je ne pensais pas que je deviendrai fou.

J'étais trop accroché à lui. Tu sais l'ami, je vais te dire un secret. Il faudra que tu me promettes de ne jamais le révéler. Si jamais j'apprends que quelqu'un est au courant, je vais être obligé de te détruire. Crois moi, tu ne veux pas que ça arrive car tu vas terriblement souffrir l'ami, si tu oses révéler mon secret, toi aussi tu disparaîtras.. A la différence que jamais personne ne sera là pour te pleurer comme j'ai pleuré Guillaume. Que jamais personne ne t'aimera comme je l'ai aimé. Que jamais personne n'aimera comme je l'ai aimé. L'amour. C'est une belle connerie tu ne crois pas ? C'est une douleur insupportable qui jaillit sans cesse, qui ne cesse de proliférer comme un virus dans un corps malade. J'ai mal, si tu savais l'ami. J'ai eu mal à vouloir en finir. Plusieurs fois. Trop de fois. Mais c'est sans fin. C'est un cercle vicieux, il n'y a ni début, ni fin.. Et ça continue sans cesse de tourner. Depuis qu'il n'est plus, j'ai l'impression de revivre le même jour indéfiniment. Je me lève avec un pieu dans le cœur, je tourne sans arrêt dans ma petite pièce et je retourne me coucher. Mais je ne dors pas. Non, je ne dors plus. Ça aussi, c'est sans fin. Jamais ça n'en finira. Je ne peux plus fermer les yeux, quand je les ferme il est là. Il est là et il m'observe de son regard doux et envoûtant.. Mais il n'est plus. Il n'existe plus dans ma vie. Il ne doit pas être là. Il doit sortir de ma tête. Maintenant. MAINTENANT.

Mais c'est sans fin, et ça n'en finira jamais.

Ma vie est devenue une boucle l'ami, une grande boucle, épaisse, comme un serpent autour de ma gorge. Et plus le temps avance, plus l'étoc se resserre. Mais même lorsqu'il m'aura tué, il me ramènera, pour recommencer. Encore, et encore, et encore.

Penses-tu que je suis devenu fou, l'ami ? Que je perds la raison ? Je ne suis pas complètement fou. Il me reste une part de lucidité. Je sais qui tu es l'ami. Je sais qu'il n'est jamais parti. C'est toi qui l'a fait partir. Tu lui as forcé la main, tu l'as poussé. Tu aurais dû m'en parler avant de prendre une décision.. Tu aurais dû me demander mon avis. Je t'aurais dit que je l'aimais. Je t'aurais supplié de le laisser. Je t'aurais juré de devenir quelqu'un de meilleur. Tu n'aurais pas eu à le faire partir. Tu m'as blessé. Tu nous as blessé. Tu.."

Alors qu'il s'acharnait de toutes ses forces sur son cahier, tenant fermement son stylo en main, comme si sa vie en dépendait, la porte s'ouvrit. Il ne releva pas la tête, resta sur sa chaise, tenant toujours son stylo. La personne dans l'encadrement de la porte soupira, un long soupire qui fut le seul son osant briser le silence.

─ Monsieur Cotentin, je ne vois aucune amélioration dans votre dossier. Comment voulez-vous que je parvienne à constituer un dossier prouvant votre présumé innocence dans cette affaire de meurtre si vous ne parvenez pas à une quelconque amélioration ? C'est la lune que votre famille me demande. Nous savons, vous et moi, que vous ne l'avez pas tué. Nous savons, vous et moi, que c'est cet ami dont vous parlez sans cesse. Mais, monsieur Cotentin, comment voulez-vous que je parvienne à inculper quelqu'un qui se trouve dans votre tête ?

─ Cette affaire. C'est sans fin. Tout est sans fin.


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F I N

One ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant