Adventotem

10. Forme Flamboyante

Xelios sentit une toute nouvelle force affluer dans ses veines, puis le puissant coup de griffe du monstre Tardigrade, qui le projeta encore plus loin. Cette fois, aucune neige n'amortit sa chute, et son dos percuta le tronc noir d'un arbre gelé, après une quinzaine de mètres de vol plané.

Il regarda de ses yeux flous ses mains, ses jambes, en espérant avoir changé, être passé en forme Tercera. Rien d'anormal à l'horizon. Il n'avait pas réussi. Son regard se porta ensuite sur le monstre, qui délaissa un moment Taan, dont les pattes arachnides avaient d'ores et déjà disparu, pour ramper avec une maladresse et un ridicule quelque peu effrayants vers Xelios.

L'aventurier souffla, rassemblant ses dernières forces, priant de tout son cœur, mais aucune Tercera ne vint. À la place, une main douce ébouriffa ses cheveux derrière lui.
« Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? demanda Coline, comme si absolument rien ne s'était passé.

- Coline ? Comment tu...
Xelios cracha un peu de sang, ne pouvant poser ses innombrables questions.

- Je m'occupe de ça d'abord, d'accord ? »

Coline avait de nouveau sa voix enfantine, rieuse et moqueuse. Elle sautilla à cloche pied vers le monstre, son totem câliné dans ses bras, et le Tardigrade s'arrêta face à elle, étonné.
« Qui es-tu, petite ? Dégage du chemin de ma glorieuse gloire glorifiée, ou tu en paieras le prix de ta misérable vie !

- J'ai découvert ce qu'était mon Totem, se réjouit-elle en se tenant debout contre la ventouse dentée de la créature.
Un marchand scientifique un peu bizarre m'a montré, grâce à une sorte de loupe magique, les petites créatures qui ressemblent à Ecoli, ajouta-t-elle en montrant son étrange ver rose, souriant et pelucheux à bout de bras.

- J'en n'ai rien à faire, hors de mon chemin, gamine ! Je vais te ramper dessus et t'étrangler avec tes boyaux !

- Il m'a aussi donné le nom de ces étranges créatures...

Le monstre, à bout de sa patience, amorça un autre coup de griffe, mais il sembla soudain frappé de l'intérieur, et se recroquevilla sur lui même, comme rongé par un mal profond.

- Il m'a aussi expliqué que ces créatures vivaient partout, continua-t-elle face à l'agonie du ver monstrueux.
Il y en a au sol, dans l'air, dans l'eau, et même à l'intérieur de nos propres corps...

- Que me fais-tu, démone ?! hurla l'horreur rampante, qui se dégonflait mollement pour revenir à une forme plus humaine.

- Il avait dit que ça s'appelait des "Bactéries", je crois.

- Pitié, arrête ça ! supplia-t-il, déjà beaucoup plus humain mais toujours rampant au sol. La douleur devait sans doute y être pour quelque chose.

- Tu t'es attaqué à mes amis, gamin. Si jamais je t'y reprends...
Elle s'accroupit à son niveau et lui susurra sa menace à l'oreille en lui pinçant la joue.
- Je te ferai digérer de l'intérieur... par toi-même. D'accord ?

- Tout ce que vous voudrez, gémit l'archer roulé en boule sur le sol.

- Allez, fuis. Que je t'y reprenne plus, fripon. »

Elle le fit déguerpir d'un joli coup de pied dans le postérieur, puis sautilla gaiement vers Taan. Sa légèreté semblait irréelle, totalement en décalage et même en rupture avec les traces de combats de l'endroit. Puis elle s'accroupit, ses étranges tresses frôlant la neige, et elle appliqua ses mains sur les blessures de son amie gémissante.

Xelios se délogea de l'emprise de la poudreuse, et boita avec difficulté jusqu'au chevet rudimentaire de la cheffe de leur groupe à nouveau réuni. Il se laissa s'écrouler à genoux face à Coline, la blessée allongée et inconsciente entre eux deux.
Xelios avait bien trop de questions, et encore une fois, il n'eut pas le temps de ne serait-ce que d'amorcer le moindre mot que l'index de la jeune femme se posa sur ses lèvres.
« Je ne souhaite vraiment pas en parler, avoua-t-elle en replaçant sa main sur les blessures de Taan.

- Tu étais passée où ? demanda-t-il quand même.

- Je ne veux pas en parler, répéta-t-elle.
Xelios baissa son regard sur Taan. Ses blessures corporelles se résorbaient lentement, sous l'action des paumes salvatrices de Coline. Ils restèrent muets quelques temps, et comme souvent, ce fut elle qui brisa le silence.

- Tu sais... commença-t-elle. Faux départ, elle reprit.
Tu sais, ça fait longtemps qu'on voyage ensemble, nous trois. Et... je vous aime beaucoup, tout les deux. Et puis, après, je me suis rendue compte que je t'aimais... différemment, tu vois. Du genre aimer "amour".
Mais j'ai l'impression que toi, tu me regardes moins que tu ne la regarde elle. Que tu n'as d'yeux que pour elle, expliqua Coline en pointant la blessée, qui l'était d'ailleurs beaucoup moins.
- Et puis, reprit-elle après un blanc que Xelios n'avait pas le courage de combler, j'aime aussi voyager, mais vraiment plus fort qu'aimer du genre "j'aime bien". Quand vous parlez de vous poser quelque part, ça me fait vraiment mal, parce que je ne sais pas qui je préfère entre les routes et les paysages, et vous deux, dont toi...

Alors, je voudrais savoir si... si avec toi, je peux, ou si je peux pas. Tu comprends ?

Xelios pensa, encore une fois, au choix de ses mots. Cette fois-ci, aucun ninja-papillon ni archer-tardigrade ne pouvait le couper dans ses aveux et le sauver par le gong. Si tant était qu'un combat était considérable comme un sauvetage.

- Tu es gentille, commença-t-il maladroitement. Et drôle, et maline, et vraiment adorable. Tu es vraiment une fille géniale, avec laquelle j'adore voyager. Si un jour tu décidais de nous quitter pour de bon, sans revenir comme là, je te laisserai faire à ton gré, mais au fond de moi j'en souffrirai énormément.
Malgré ça, je suis désolé de ne pas t'aimer de la même façon que toi... "du genre aimer amour", comme tu dis.

Coline ramassa son ver, sa bactérie géante, poilue et adorable, et la serra contre elle en écrasant une larme du plat de sa main.
- Merci, souffla-t-elle. De ne pas me faire croire en l'impossible.

Ils restèrent ainsi, méditant sur leurs relations, pendant quelques minutes. Pour une fois, ce fut Xelios qui prit la parole pour briser la glace du silence.
- Et sinon, depuis quand tu peux soigner par le toucher et torturer par le regard ?

- Ça ? C'est ma Tercera, s'exclama-t-elle toute contente.
Taan se réveilla en sursaut, surprenant par la même occasion ses deux camarades, et aspira une immense bouffée d'air, comme si elle avait tout juste manqué de s'étouffer.