Lettres IX - XII

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Lettre Neuf : Jeudi 26 avril

Cher Grand-père, bien dormi ?

On est ''vraiment'' jeudi, maintenant ! Il est presque treize heures quand mon stylo touche la feuille pour la première fois, et j'ai passé la matinée à retrouver le bonheur des percutions. Comme je l'espérais, je n'ai presque rien oublié, et je retrouve sans réel problème le rythme et le confort du toucher de mes baguettes. Ilias a ressorti sa guitare, des amphi, et même un micro ! Il chante vraiment bien le petit frère, tu sais ? Est-ce que tu l'as déjà entendu faire ? Il adorait chantonner quand il pleuvait et qu'il allait tout seul à la plage, sur les galets. Il rentrait toujours trempé des pieds à la tête mais souriant comme jamais. Sa voix s'accorde à tous types de chansons, c'est incroyable. Il monte sacrément haut dans les aiguës, je ne pensais pas qu'il parviendrait à atteindre les notes les plus hautes de ''Nemo'' de Nightwish. Il a pourtant mué, je suis bluffé. ''C'est du travail'' ; qu'il m'a dit en haussant les épaules quand je lui ai fait la remarque. Mais ses yeux brillaient, il était fier. Et moi aussi.

Je pense que je vais essayer de passer l'après-midi avec lui, pour lui rappeler que son frangin est là pour lui, et pour lui changer un peu les idées, parce qu'il ne voit que sa chambre depuis qu'il est en vacances (il l'est depuis une semaine et demie quand même!). Je pense qu'on va se faire un aprèm' musique en extérieur. Je compte prendre sa guitare, et mes baguettes. Je trouverai bien une souche suffisamment creuse pour faire office de caisse (oui, je suis optimiste, mais n'est-ce pas une bonne chose?)

Ilias m'appelle pour manger, il a accepté de faire le repas donc je ne vais pas le faire attendre !

Je t'embrasse,
Gabin.

PS : Lettre assez courte, je me rattraperai sur la prochaine, si je peux !



Lettre Dix : Vendredi 27 avril

Cher Grand-père, comment vas-tu ?

Je suis tellement heureux, si tu savais ! Plusieurs raisons à cela. La première, c'est Ilias. On a passé une après-midi mémorable hier, c'était merveilleux. Cette complicité qui nous manquait depuis presque deux ans est revenue d'un coup, comme si tous les problèmes, les non-dits et les pleurs avaient été laissés à l'entrée de la forêt pour nous laisser tranquilles le temps de quelques heures. Je me suis fait une batterie de fortune avec deux souches déplacées à grand peine pour les mettre côte à côte, et Ilias avait pris sa guitare, comme prévu. Sa voix s'élève de façon tellement élégante en extérieur, comme si elle n'avait aucune barrière, aucune limite. Elle est tellement légère, elle s'envole plus haut que les arbres, que les nuages. Même les oiseaux se sont tus pour l'écouter. Et j'exagère à peine !

Après qu'on se soit cassé la voix en chantant trop longtemps, qu'il se soit écorché les doigts sur ses cordes et que je me sois abîmé les poignets autour de mes baguettes, on s'est enfin décidé à rentrer. Il devait être aux alentours de six heures, et c'était comme si plus rien ne le retenait. Il m'a tout raconté. Sa relation difficile avec une fille qui ne s'accepte pas comme elle est, les insultes quant à son apparence assez androgyne, la galère avec ses notes en baisse et ses profs qui n'ont de cesse de le stresser pour le bac alors qu'il n'est qu'en seconde... Son groupe de potes qui se sépare doucement mais sûrement, les amours qui les éloignent, l'absence de son meilleur ami, parti dans un autre lycée après le brevet... Je reconnais certaines de mes angoisses dans ses paroles, je peux parfaitement comprendre son problème par rapport aux remarques insistantes, j'ai eu les mêmes quand j'ai ''assumé'' être gay. Bien avant de me rendre compte que c'était beaucoup plus compliqué que ça.

Cher Grand-PèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant