Chapitre 11 : Sous une nuit étoilée : Susannah

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Quelques années en arrière :

- Suzy ! Viens, on va flâner dehors.

Solal pénètre joyeusement l'habitacle qui nous fait office de chambre. On ne peut pas exactement qualifier cet espace confiné de tel mais c'est le seul toit que nous ayons jamais eu sur notre tête, nous le partageons et essayons chaque jour d'en faire un endroit chaleureux où nous pouvons être heureux pour quelques instants aussi courts soient-ils.

- J'arrive !

Je m'empresse d'aller à sa rencontre et d'une démarche titubante, handicapée par une douleur qui refuse de quitter mes jambes, je tente de ne rien laisser transparaitre du mal qui me ronge.

- Qui est-ce qui t'a fait ça ? demande soudainement mon frère, loin d'être dupe, le regard voilé par une sombre colère.

Je hausse mes épaules afin de détendre l'atmosphère, non désireuse de gâcher cette soirée par mes plaintes.

- Bernardo, répondis-je simplement. Il n'en faut pas beaucoup pour l'énerver.

- Ce type va brûler en enfer, dit-il pensivement. S'il y a une justice divine alors ce type crèvera de la pire des manières.

- S'il y avait une justice divine, on ne serait pas là à nous plaindre.

- Peut-être, lance-t-il d'une voix absente. Nous n'en savons rien.

Nous nous taisons un instant, perdus dans les tréfonds de nos pensées qui semblent se rejoindre. Je sais exactement à quoi mon frère pense, il n'a pas besoin de parler afin que je le comprenne, nos âmes sœurs se complètent à merveille.

- Tu crois vraiment qu'on va croupir ici ? demandé-je.

- Tu sais, commence-t-il. Parfois, j'essaie d'imaginer ma vie dans quelques années, je me demande où je serai, avec qui. C'est le noir total.

- Je ressens la même chose. L'avenir est tellement incertain.

- Je sais simplement qu'il est hors de question que je finisse ma vie ici, peu importe ce qu'il m'en coûte.

- C'est une promesse ?

- Oui, affirme-t-il avec conviction. C'est une promesse.

J'admire la lune haute dans le ciel, surplombant cette terre, l'inondant d'une envoûtante lueur. Lorsque je contemple cet astre nocturne, une partie de moi est subjuguée par une telle beauté, je me rends compte que face à tant de splendeur, je ne suis qu'un grain de poussière, une moindre particule, que mes tracas sont minimes et qu'il suffirait de l'admirer afin de tout oublier. C'est si facile de vivre dans les rêves. Parfois je souhaite m'endormir et ne jamais me réveiller afin de revivre ce rêve à l'infini.

- La lune est si belle, soufflé-je.

- Elle est si belle parce qu'aucun homme n'a encore tenté de la changer. La main de l'homme est exécrable, elle détruit absolument tout sur son passage.

- J'ai envie d'aller sur la lune, dis-je naïvement.

- Et qu'est-ce que tu y ferais ? questionne Solal dans un sourire moqueur.

- Je serai enfin libre.

- On sera libre un jour sur cette terre Susannah, pas la peine d'aller sur la lune.

A ce moment-là, j'ai quinze ou seize ans, le crâne bourré de sottises nommés rêves, j'imagine que peut-être un jour je pourrai enfin faire le deuil de cette enfance malheureuse, perdue dans les bidonvilles de Séville.

C'est si facile de se tromper. Lorsqu'on est jeune, on pense avec notre cœur, on est intrépide, baigné dans la désillusion de la jeunesse, pourtant la réalité, hélas, nous rattrape bien vite et tous nos rêves demeurent ce qu'ils ont toujours été : de simples rêves, seuls vestiges de notre jeunesse.

- C'est le réveillon de noël ce soir, annonce Solal. Je sais que ce n'est pas beaucoup mais je tiens vraiment à t'offrir quelque chose.

Je le regarde, surprise, gênée. Je suis son regard lorsqu'il retombe sur une bague en plastique orné d'un cœur décoré de paillettes ternies. Solal me tend son présent, légèrement embarrassé tandis qu'il fait glisser cette bague le long de mon doigt.

Je l'admire, époustouflée, émue et me mords l'intérieur de la joue afin de m'empêcher de sangloter.

- Merci, dis-je dans un souffle. Je l'adore.

- J'aurai tellement voulu t'offrir plus que ça.

- C'est le plus beau cadeau du monde, m'empressé-je de le rassurer en lui sautant au cou. Je l'adore.

- Joyeux noël Susannah.

- Joyeux noël Solal.

La bague que m'a offerte mon frère est mon joyau, mon bien le plus précieux. Moi qui n'ai jamais été attachée à un quelconque bien matériel, je suis immédiatement tombée amoureuse de ce modeste bijou. Chaque fois que je le regarderai, je verrai Solal.

- C'est le plus beau noël qui soit, soufflé-je, appréciant ces rares moments de sérénité.

Les moments que je partage avec mon frère sont vraisemblablement les plus heureux de toute mon existence, pareils à un pâle rayon de soleil qui se faufile au milieu de nuages grisâtres. Il est ce maigre rayon, fidèle au prénom qu'il porte, il me guide à travers ces eaux troubles, me fraie un chemin parmi tous les obstacles qui obstruent perpétuellement notre route. Je ne peux pas vivre sans lui, la simple pensée me scandalise. Il m'est tout bonnement inconcevable d'imaginer passer le restant de mes jours sans une partie de mon âme. Il est mon pansement, mon remède, il est celui qui allège le poids qui me comprime la poitrine, celui qui me fait sourire lorsque rien ne me rend heureuse.

Solal est toute ma vie, mon existence. Il est le soleil autour duquel j'orbite, il est la lune devant laquelle je me damne chaque soir. Je l'aime à en mourir et j'en pense chaque mot. L'amour que je ressens à son égard dépasse toute raison, je sais qu'il est malsain, nocif mais à défaut d'être saine d'esprit, je me raccroche désespérément à la seule personne qui m'insuffle la volonté d'affronter une nouvelle journée chaque fois que j'ouvre les yeux.

Solal est ma raison de vivre et chaque seconde passée loin de lui est une horreur.

- Il se fait tard, annonce-t-il en se levant.

Il me tend une main que je saisis presque immédiatement. Bien que déçue de voir notre soirée s'achever, je lui obéis et me relève, ignorant tant bien que mal la douleur qui éclate le long de mes jambes.

Semblant s'en rendre compte, il se baisse en avant et me fait signe de monter sur son dos. Je n'hésite pas une seule seconde.

- Merci Solal.

- Je t'en prie Suzy, tu ne pèses presque rien.

- Non, le contré-je en fermant les yeux. Merci pour tout.

Je le sens sourire, même si je ne le vois pas.

¾ Ferme les yeux, chuchote-t-il en avançant à un rythme soutenu. Tu es en sécurité avec moi.

Ce soir-là, je ne rêve pas. Je me souviens vaguement avoir souri, peut-être ai-je à tort pensé que quelque part la vie finirait par me sourire. En y repensant, j'ai été stupide et naïve mais je me suis autorisée une pause dans ce malheur, un éclairci entre deux averses. C'est peut-être cela qui m'a aidé à tenir toutes ces années dans ce cirque.

Parfois, on doit notre salut à l'oubli. J'aurai aimé ne jamais me souvenir de rien. J'aurai été tellement heureuse après.

Aime-moi (En Correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant