Clarke
J'ai vécu seule, isolée du reste du monde, depuis presque toujours. C'est ce que mes parents voulaient. Mes parents... Ils avaient toujours l'air effrayés, constamment. Ils semblaient attendre quelque chose, ou quelqu'un dont l'ombre pesait sur eux nuit et jour, et nous vivions donc dans une crainte constante que je ne comprenais pas. Notre famille a vécu dissimulée, invisible. Je n'ai jamais rencontré personne d'autre que ceux qui m'ont mise au monde. Pas un seul instant ils ne me quittaient du regard, comme si c'était moi, la cause ou l'objet de leur angoisse. Aujourd'hui encore, j'ignore ce qui leur faisait si peur. Alors que je n'étais qu'une enfant, ils ont disparu, et n'ont jamais eu le temps de me dire à quoi je devais faire attention. Mais je me souviens qu'ils me suppliaient toujours : "Quoi qu'il arrive, Clarke, reste cachée". Alors c'est ce que j'ai fait.
J'ai dû apprendre à survivre par moi-même, en suivant la méthode qu'ils m'avaient toujours inculquée, dans un monde apparemment hostile et oppressant. Je me suis retrouvée seule, petite fille, avec cette part d'ombre qui serrait mon cœur sans relâche, qui m'empêchait de dormir comme un monstre sorti tout droit de mes pires cauchemars, hantait mes nuits et me faisait délirer le jour : la peur. Evidemment, j'ai déjà eu maintes fois l'envie de quitter cette forêt immense et menaçante où j'ai grandi, de courir, vite et loin, jusqu'à trouver quelqu'un, lui crier que je suis là, que je veux vivre à mon tour. La vérité, c'est que je ne suis qu'un coquillage vide. La vie n'a aucun sens pour moi, j'aurais pu y mettre un terme, si je l'avais voulu. Mais je continue de croire qu'un jour, le nuage qui l'opprime se lèvera et qu'alors, j'aurai le droit d'exister.
Je tends l'oreille et plisse les yeux : les bosquets s'agitent, j'entends le bruit des feuilles que l'on écrase au sol. Soudain, un cri animal, empli de douleur et de surprise, vient déchirer le silence de la forêt. Dans le mile. Je rampe pour me rapprocher afin de mieux pouvoir viser, me coulant sur le sol à la manière d'un serpent, mon poignard serré contre moi. Ces gestes, je les ai déjà enchaînés des centaines de fois. Le regard fixé sur ma proie, le sourire anticipé de la victoire se dessinant sur mes lèvres, je me tapis derrière un buisson. Magnifique ! Une panthère noire énorme, la gueule ouverte, crachant et se débattant, s'est coincée dans mon piège. Je sens que je vais me régaler...
J'entreprends de me redresser, avec une extrême lenteur, tâchant de ne pas me faire remarquer par la bête déjà mal en point. Je ferme un œil et incline mon long poignard aiguisé de sorte à ce qu'il aille se planter dans le cou de l'animal dont les mouvements se font de plus en plus faibles. J'inspire un bon coup et fais le décompte dans ma tête. 3, 2, 1... L'arme fend l'air et transperce la chair à l'endroit où je l'avais prédit. Gagné ! La panthère laisse échapper un râle terrible, déchirant, et s'effondre sur le sol dans une mare de sang écarlate. Je bondis sur mes pieds et me précipite vers la bête pour vérifier qu'elle est bien morte. Je m'accroupis entre ses pattes et pose une main sur son torse en retirant le poignard de son corps. Elle râle, souffle, un oeil hargneux posé sur moi, et son cœur semble s'emballer dans sa cage thoracique. Je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au cœur...
-Je suis vraiment désolée..., lui soufflé-je en me penchant vers elle.
Mauvaise idée. Dans un dernier élan, dans une ultime volonté de vengeance, l'énorme panthère noire rassemble ses dernières forces et jette une patte puissante aux griffes acérées qui vient me heurter en plein visage, avant de s'écrouler, morte. La force du coup me propulse en arrière et j'atterris sur le dos un mètre plus loin, sonnée, déboussolée. J'étouffe un gémissement de douleur en essayant de me redresser. Je porte la main à ma tête et, en la retirant, je la découvre recouverte de sang. Super, manquait plus que ça... J'essaie de me relever, en titubant ; j'ai la tête qui tourne.
-Tout va bien ?
Je tressaille et sens mon sang se figer à travers mon corps. Il y a quelqu'un... juste derrière moi. Je reste paralysée, incapable de bouger. Qu'est-ce que je suis censée faire ?! Mon esprit me renvoie l'image de mes parents. "Quoi qu'il arrive, Clarke, reste cachée." Cachée pourquoi ? Peut-être ne le saurai-je jamais. Peut-être le saurai-je aujourd'hui. S'ils me l'ont demandé, c'était pour une raison. Je ne les trahirai pas.
Une grande main se pose sur mon épaule, mon corps est secoué d'un frisson de terreur. Je crois défaillir. Sans bouger, j'abaisse mon regard vers le sol et aperçois mon couteau gisant à côté du cadavre de la panthère. Mon cerveau fonctionne à toute allure, mon instinct de survie le poussant à chercher un moyen de me tirer de là au plus vite. Le plus lentement possible, je tends la jambe et ramène le poignard jusqu'à moi en le traînant sur le sol. Ça y est. Il est juste à mes pieds...
Tout se passe très vite. En une fraction de secondes, je me baisse, saisis fermement mon arme et me retourne en poussant un cri bestial. La lame aiguisée s'enfonce dans une épaule... Celle d'un homme à la carrure massive. Je lève les yeux vers lui, déterminée à avoir le dernier mot. Il grogne, baisse les yeux vers mon couteau planté dans sa chair et le retire aussitôt sans ciller avant de le laisser tomber à ses pieds comme s'il s'était agi d'un morceau de bois. Je reste perplexe, désemparée. Ça n'était pas censé se passer comme ça... Ce n'est que lorsqu'il relève la tête que je peux apercevoir son visage. Mes yeux s'écarquillent alors, tandis que j'ai un geste de recul : sur son visage, il porte les mêmes marques de guerre que celles de mes parents. Ses yeux se tournent vers moi et, lorsqu'ils se posent sur ma blessure, je vois l'expression de son visage passer de la haine à la stupeur. Il plisse les yeux et articule quelque chose que je ne comprends pas :
-Natblida...
Je fronce les sourcils, désemparée, en proie à la terreur et à l'incompréhension. Son visage se fait si menaçant qu'un frisson me parcourt l'échine. Je fais un pas en arrière, mais l'inconnu comble la distance entre nous et me saisit par le col de ma tunique. La peur m'envahit et me glace les membres. Qu'est-ce qui se passe ?! L'instinct me pousse à crier mais le natif plaque son immense main sur ma bouche avant de tirer de sa ceinture un bandeau qu'il me passe autour du visage. Me voilà bâillonnée, seule avec un homme qui semble ne pas me vouloir du bien. A travers le tissu, je n'arrive qu'à émettre des sons étouffés et incompréhensibles. Un mélange de sang et de larmes m'aveugle. Je suis devenue la proie.
Dans une dernière tentative de survie, j'essaie de me débattre. La dernière chose dont je me souviens, c'est une douleur aiguë qui se propage dans mon crâne ; je bascule dans le néant.
Ça ne peut pas se finir comme ça...
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BELLARKE - À larmes égales [AU]
FanfictionIls sont nés pour se tuer. Du moins, c'est ce qu'ils croyaient... jusqu'à ce qu'ils tombent amoureux. Dans la capitale post-apocalyptique de Polis se tient le Conseil, dirigé par le Commandant. Pour accéder à ce statut suprême, une seule condition :...