Chapitre 3 : Bienvenue à Polis

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Clarke

Mes parents disaient souvent que la vie ne tient qu'à un fil ; pendant dix-huit ans, je ne voyais pas pourquoi. Aujourd'hui, je comprends. En l'espace d'une seconde, parce que j'ai été au mauvais endroit, au mauvais moment, parce que j'ai fait trop de bruit ou me suis trop éloignée du bois où j'ai vécu en paix depuis toujours, ma vie a basculé irrémédiablement. Et je sais que, désormais, rien ne sera plus pareil.

Mon cœur n'a jamais battu aussi vite qu'à cet instant. J'ai la mâchoire crispée, luttant intérieurement contre mes émotions contradictoires, mon esprit basculant sans cesse entre effroi, perplexité et rage. Jamais je n'ai souhaité avec plus de véhémence de ne pas exister. J'ai fermé les yeux et, lorsque je les ai rouverts, j'étais emprisonnée, enfermée entre des murs. Et maintenant, je me retrouve ici, face au monde, et je regrette d'avoir un jour désiré de le connaître.

Je reste le regard figé, rivé sur cette silhouette à la fois angélique et cruelle, presque céleste, que caressent les premiers du rayon du soleil perçant par les fenêtres. Pour la première fois de ma vie, je soutiens le regard d'un étranger, de cette femme aux cheveux noirs qui vient de m'ouvrir la main. Tout indique qu'elle occupe un rôle important et pourtant, elle semble si jeune pour être capable d'une telle violence. Aussitôt que le sang perle sur ma peau et alors que je commence à peine à ressentir une douleur lancinante se répandre dans ma paume, des murmures, des chuchotements, des cris s'élèvent autour de moi. La salle est presque vide, pourtant il y a tellement de bruit que j'ai l'impression d'être au cœur d'une foule révoltée. Tout le monde s'agite, me dévorant du regard et me pointant du doigt. Je les vois du coin de l'œil, sans pour autant bouger d'un millimètre. Surtout, ne leur montre pas tes faiblesses...

-Une sang d'ébène ?!

-Qu'est-ce que ça signifie ?

-Je croyais qu'on était les derniers de la lignée !

Les voix fusent de tous côtés, scandalisées, abasourdies, furieuses et arrivent à mon esprit déformées, dénuées de sens. Je ne comprends pas ce qui se passe ; je n'ai pas le courage d'essayer. Dans un élan de désespoir, je pousse sur mes jambes et bondis sur mes pieds, rompant le contact visuel avec la femme au couteau. Je tourne sur moi-même, désorientée, à la recherche d'une issue ; je la vois. Chancelante, je m'élance en direction des grandes portes qui se tiennent devant moi, plantées dans le sol ; mais j'ai à peine fait un pas vers la liberté que des lances apparaissent brusquement devant moi pour me barrer le passage. J'ai un mouvement de surprise et recule, prise de court. La voix de leur cheffe s'élève dans mon dos, forte, impérieuse et autoritaire. Le silence se fait aussitôt.

-Silence ! Nous pensions que le sang d'ébène était contenu dans cette tour ; aujourd'hui, nous découvrons notre erreur, et la corrigeons.

Je me retourne, frissonnante, abasourdie. L'incompréhension m'ôte pendant un moment tout désir de fuite ou de résistance. Le sang d'ébène ? Je baisse les yeux vers le liquide noir qui s'écoule de ma main. Je n'ai jamais connu que ce sang qui coule dans mes veines. Chaque seconde qui passe entreprend de détruire avec un peu plus de violence la réalité que j'ai passé ma vie à construire autour de moi. Était-ce de ce gêne caractéristique que mes parents cherchaient à me protéger ? Aurais-je vécu tout ce temps dans un halo d'ignorance, comme une sauvage, alors que l'ennemie n'est en réalité personne d'autre que moi ?

Je ne sais plus quoi penser. Je suis totalement perdue. Je voudrais pouvoir tout recommencer.

- Clarke rejoint aujourd'hui le rang des Natblidas et sera à compter de ce jour, selon les traditions que notre peuple observe depuis le règne de Becca Pramheda, traitée exactement comme vous autres, sans traitement de faveur. À ma mort, elle se battra lors du Conclave afin d'y mourir, ou d'y triompher et de devenir le prochain Commandant.

BELLARKE - À larmes égales [AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant