PARTIE 1 : LES LIMBES - Chapitre 1 : Indéfini vers l'infini

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Chapitre 1 : Indéfini vers l'infini

TRIBU

Il marchait depuis des heures dans les sables cendrés de l'entre-deux-mondes. Mais comme tout se ressemblait, il avait l'impression de n'avoir parcouru que quelques mètres. En temps normal, la soif et la faim l'auraient assailli et il aurait continué, rampant, suivant l'espoir d'une oasis impossible. Mais la faim et la soif n'existaient pas ici. Tout ce qui faisait que la vie était la vie n'y avait pas sa place. Au moins, les tourments de la mort n'étaient pas non plus à regretter. Il aurait pu tomber aux Enfers, sans sas d'acclimatation. Il était en sursis. Mais le délai qui lui avait été accordé n'était que provisoire, il s'en doutait. Viendrait le temps où il devrait choisir : rentrer ou disparaître. Pour toujours.

Il marchait. Les deux amulettes à son cou s'entrechoquaient à chacun de ses pas, au rythme de son cœur. Une intuition profonde l'avait ragaillardi un instant auparavant. Il avait senti de manière viscérale, sans pouvoir l'expliquer autrement que par un geste, que ses frères jurés, liés à lui par un pacte de sang, étaient là, tout près, et qu'il allait les rejoindre. Ensemble, ils regagneraient la terre. Mais soudain se glissait en lui une impression toute différente. Si ses espérances l'entrainaient sur les pentes glissantes savonnées par l'optimisme, sa voix intérieure lui dictait de prendre du recul. Rien ne se passait jamais comme il le désirait. Le bonheur ne pouvait être absolu. Et la mort ne pouvait être contrée si facilement. Son spectre rôdait au-dessus de lui dans les nuages invisibles, et se coulait entre ses pieds sous le brouillard épais. Il devait écouter son avertissement, entendre le souffle prophétique de la toute puissante faucheuse s'il voulait avoir une chance. Et le vent de ses messagers.

Frappé, il pila net. Il fut cependant à peine ébranlé par le choc électrique qui suivit l'impact. Un mur invisible l'astreignit à l'immobilisme.

Devant lui, le brouillard parut moins dense. Un léger clapotis sonna à ses oreilles, comme une flaque stagnante qui reçoit une goutte de pluie. D'abord, il distingua une silhouette aussi immobile qu'une statue. Puis la barque sombre émergea à son tour. Les traits de la créature qu'elle apportait se précisèrent. Une capuche corbeau sur un visage masqué, blanc comme la neige et barré d'une cicatrice noire en travers de l'œil. Un corps frêle sous une cape déchirée. Le bateau s'arrêta, heurtant en silence la jambe de Tribu. La silhouette ne bougea pas, elle prit simplement la parole.

- Vous ne devriez pas être ici.

Sa voix était fêlée comme un vase trop ancien.

- Qui êtes-vous ? se risqua Tribu qui ne se laissait pas impressionner par grand-chose.

- On me nomme le Passeur. Je guide les âmes égarées vers les Enfers lorsqu'elles sont destinées à mourir.

Le bras robotique de la créature s'éleva jusqu'à sa figure. Il décrocha le masque, dévoilant un visage millénaire. Sa peau était livide, presque transparente. Ses yeux n'étaient que deux fentes blanches. Une marque noire comme la nuit reliait son front à sa joue, rayant son sourcil à peine visible. Ses lèvres fines remuèrent par automatisme.

- Vous ne devriez pas être ici, répéta-t-il.

- J'ai vaincu un démon sur terre, commença Tribu. Mais ses pouvoirs maudits ont tout emporté en regagnant...

- Je sais, coupa le Passeur. Vous avez glissé avec lui vers la mort, mais votre heure n'étant pas venue, les portes de l'Enfer se sont refermées devant vous. Votre présence ici met en péril l'équilibre.

- L'équilibre ?

- L'ordre de Gaïa.

- La déesse de la terre ?

Les Guerriers des limbesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant