Chapitre 3 : Strophes pour se souvenir

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Chapitre 3 : Strophes pour se souvenir


Sitiv appréhendait le retour de Spin. Elle savait qu'il l'observait. Elle sentait sa présence, ses pas, son odeur et son ombre même s'il restait caché. Il attendait le bon moment. Le moment critique. La faille. Lorsqu'elle serait au pied du mur et qu'elle ne pourrait plus refuser son offre, il se manifesterait.

Sitiv avait lu des choses sur les djinns. Ils n'étaient pas foncièrement mauvais. Ils n'étaient pas bons non plus. Ils pouvaient accomplir des choses atroces si on le leur demandait. Et ils refusaient rarement car ils passaient contrat. Ils obtenaient toujours satisfaction. Un profit personnel à tous vœux réalisés, tragique ou fabuleux. Pour cette raison, cette absence de morale, ils étaient considérés comme des démons. Ajoutez à cela la spontanéité malicieuse des satyres et Spin devenait la caricature parfaite des gnomes farceurs et facétieux.

Le cœur de Sitiv manqua un battement. Son cerveau reptilien la mit en garde. Elle s'attendait à voir apparaître la créature aux cornes sous ses yeux, mais ce fut en fait le sol qui trembla. Le sable s'agita sous ses pieds, ondulant en dunes et en tourbillons. Devant elle, une muraille se dressa. En haut, créneaux et tourelles. Le mur s'étendait à perte de vue à droite comme à gauche. Impossible d'avancer. Au niveau de Sitiv, la tornade se mua en une tour digne d'un conte oriental, avec gravures exotiques et chapeau en forme de flamme, comme une bougie. Une porte minuscule se dessina enfin, incitant Sitiv à la franchir. Décidément, l'entre-deux-mondes la mettait à l'épreuve. Elle ouvrit la porte.

Le trou réduit l'obligea à se glisser à l'intérieur à quatre pattes malgré son petit gabarit. Loin de trouver de l'autre côté une seconde porte qui lui permettrait de sortir, elle rencontra un escalier. Les marches grimpaient en colimaçon jusqu'à une hauteur indéterminée. Sitiv se laissa guider par le sable. Elle entreprit l'ascension de la tour.

Arrivée au premier pallier, un couloir s'ouvrit sur sa gauche. Une fois encore, la jeune femme répondit à l'invitation et s'engagea dans le tunnel. Il n'y faisait pas noir, comme elle aurait pu s'y attendre. On y voyait comme en plein jour. Elle avança à pas lents, guettant le danger. En apercevant une ombre au sol, elle fit un bond de surprise et se plaqua contre le mur de sable le plus proche. L'ombre avança vers elle. Sitiv plissa les yeux, doutant de ce qu'elle découvrait. Ses sens lui jouaient-ils un tour ? L'ombre n'était rattachée à personne. Alors, baissant la tête, la jeune femme constata qu'elle-même n'avait pas d'ombre. Une voix inconnue qui toussait la fit sursauter de nouveau. Sitiv leva la tête.

Au plafond, à l'envers, une grande femme était assise sur une chaise. Elle ne semblait aucunement soumise à la gravité. Elle avait les cheveux coupés aux carré et colorés par une teinture rousse des plus chimiques, à la limite de l'orange carotte. Elle avait les yeux très maquillés et sur son nez était perchée une paire de grosses lunettes qui la faisaient ressembler à une mouche. Elle avait la peau blanche et ses joues étaient excessivement roses. Elle portait un grand manteau vert qui descendait jusqu'à ses chevilles, une jupe aussi longue dans les tons beige et un gilet de laine aux boutons dorés. Elle tenait fermement sur ses genoux un sac à main de grosses perles nacrées. A son cou pendait un assortiment de colliers en tous genres, perles de verre, de nacre, maillons d'or, d'argent, pendentifs à initiales ou en animaux. Sitiv distingua une tortue, un éléphant de profil et une tête de lion. Aux oreilles de la femme étaient suspendues de grosses boucles en triangles au centre desquelles une pierre turquoise attirait l'attention. Poignets et mains n'étaient pas moins chargés. C'était comme si cette femme portait avec elle tous les bijoux qu'elle avait pu trouver au cours de sa vie. Et elle paraissait plutôt âgée.

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