Les Guerriers des limbes

Chapitre 6 : Le rituel

Chapitre 6 : Le rituel

« Je ne capte rien », transmit Opale par télépathie.

Elle sondait les environs par la force de son esprit, cherchant à détecter des pensées qui n'appartenaient pas à leur groupe. C'était ses premières tentatives. Ambroise lui avait un peu expliqué comment faire. Elle s'exerçait tant bien que mal. Et elle voulait surtout apporter sa pierre à l'édifice. Elle décelait chez Ambroise un comportement nouveau, plus anxieux. Il se sentait observé, épié même. Opale n'avait pas de mal à se laisser convaincre. Par habitude toute récente, elle se refuser à douter de son compagnon d'infortune. Mais dans les limbes, qui pouvait bien vouloir les espionner ? Elle s'excusa faiblement.

« Ça ne veut pas dire qu'il n'y a rien, rétorqua la voix d'Ambroise dans son crâne. Tu ne parviens pas à lire les pensées de Dolos ni d'Apatê. Pourtant ils sont là. »

« C'est vrai, concéda Opale. Et je ne suis pas encore très douée. Alors nous n'avons qu'à rester sur nos gardes, d'accord ? »

Ambroise fit semblant de s'en satisfaire. Mais au fond de lui, il savait que quelque chose rôdait autour. Il ne se fourvoyait jamais.

Opale poussa un soupir. Sa voix était faible et éraillée, son souffle court à force de tousser. Elle se mordit les lèvres. Les yeux baissés, elle regarda ses doigts tremblants. Elle porta sa main à sa tempe. Elle n'avait pas réalisé que des murmures persistaient sans cesse à ses oreilles. Elle se demanda ce que disaient ces voix.

« Tiens bon. » « Ça va aller. »

Elle tira sur sa manche pour essuyer le sang qui coulait sous son nez. Lentement, elle s'allongea sur le côté. Ses cheveux glissèrent sur son front.

« Je crois que c'est Tribu, se suggéra-t-elle. Je crois qu'il n'est pas loin. »

La télékinésiste referma son esprit. Sans savoir pourquoi, son visage avait quelque peu repris des couleurs. Elle se sentit en veine de rêver. Le visage d'un homme se dessina dans sa mémoire.

- Navire à tribord !

- Capitaine ! Un navire à tribord ! Il semblerait que ce soit un bateau commercial venant de la Capitale.

- Très bien. Hissez les voiles. Tout le monde à son poste !

Le Capitaine est un homme massif. Sa stature, aussi imposante qu'un trois-mâts, a vite convaincu ses hommes de sa légitimité. Il a de grands yeux gris tempête, cernés de noirs. Ses sourcils broussailleux s'accordent à sa barbe fournie couleur de pierre. Une moustache jamais rasée rehausse son nez droit aux larges narines pour mieux sentir l'air iodé qui l'entoure. Des rides se lisent sur son front, entre ses sourcils, sur ses joues, au coin des yeux, comme une carte au trésor. Enfin, de ses cheveux longs en crinière s'échappent quelques tresses grossières nouées au bout par des pépites d'or luisantes et des anneaux de fer. Malgré son air austère, ses lèvres très fines s'étirent le plus souvent en un sourire impénétrable. Le Capitaine Datan aime sa vie. C'est un homme libre, sans lois hormis celles qu'il s'est choisies et que ses hommes ont également accepté de suivre. Il voyage en mer plus de trois cent jours par an et ne touche la terre ferme que pour trouver des vivres ou explorer de nouvelles contrées. S'il n'est pas apprécié par les forces de l'ordre ni par l'OCR, il est néanmoins toléré grâce à ses nombreuses découvertes. De ses voyages, il a ramené des plantes, des graines, des couleurs dont personne avant lui n'avait entendu parler. Il paye ainsi son tribut, et la loi ferme les yeux sur ses autres activités. Car certes il a des règles, mais il reste un pirate. Il attaque des navires, amasse butins et pierres précieuses, boit du rhum au goulot en admirant le coucher du soleil. Mais il y a une chose qu'il adore plus que tout. Il a une fille. Une fille qu'il a renoncé à comprendre mais qu'il chérit. Elle est son bijou, son diamant le plus précieux. Il sait qu'un jour, on viendra la lui prendre. Mais il espère que ce sera pour qu'à son tour son enfant trouve sa voie.