V Déroute

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Davis laissa son regard se perdre à l'extérieur. En dépit de la température déjà basse, il faisait un temps splendide ; le soleil du milieu d'après-midi était accompagné d'un vent froid et sec. Ils avaient quitté la bretelle d'autoroute, et s'étaient engagé dans une avenue parsemée de nids de poule. L'état dans lequel se trouvaient les véhicules qui les accompagnaient ainsi que les bâtiments lézardés parlaient d'eux-mêmes : Chicago avait souffert.

-... et du coup, j'ai décidé d'attendre une heure de plus devant chez lui...

Depuis qu'ils étaient montés à bord, Alma n'avait pas cessé de parler à Wilfried. Elle avait entrepris de lui raconter comment est-ce qu'ils s'étaient rencontrés, laissant de côté tout ce qui s'était produit avant cet évènement. David l'écoutait, demeurant silencieux.

Cela devait encore être un moyen de garder ses distances avec lui. Il ne lui en voulait pas. Après tout, le moment où ils devraient faire leurs adieux allait bientôt arriver. Et cette fois-ci, ce sera définitif.

Malgré cela, il restait en paix. Le fait qu'elle ait insisté pour l'inviter à manger était la preuve qu'elle lui faisait suffisamment confiance. Ça, en plus de la petite heure qu'elle avait passée endormie sur son épaule. David l'avait décollée à plusieurs reprises, en vain. Alma était perpétuellement revenue dans cette position. Alors, il avait fini par la laisser faire, se sentant ennuyé. Il n'aimait pas ce genre de situations. Pas de soucis pour venir en aide aux autres... mais sans pour autant se retrouver dans une situation ambigüe. Puis, il avait fini par se tranquilliser ; il n'y avait pas le moindre risque pour que les choses prennent une tournure embarrassante. Elle ne faisait que dormir, et son épaule se trouvait simplement là où il fallait. Quand elle se réveillera, l'affaire sera réglée. Et puis, ce que pouvaient penser la poignée de voyageurs qui les accompagnaient lui importait peu.

Non, à présent qu'il se trouvait seul sur cette banquette arrière, il avait de véritables raisons de s'inquiéter. Depuis qu'il s'y était installé, le conducteur ne lui avait pas adressé la parole. Il n'avait cessé de lui jeter des regards intenses par le biais de son rétroviseur, le fixant longuement. David avait cru bon de devoir se présenter, et ce sous sa véritable identité. Mais il n'avait rencontré qu'un silence méprisant. Même le récit d'Alma ne parvenait pas à détourner véritablement son attention. Il ne faisait que lui répondre par des monosyllabes distraites. Elle finit par perdre courage, et décidé de s'interrompre, alors qu'elle allait raconter le moment où elle s'était évanouie.

-Je pense que je vais attendre d'avoir mangé pour te raconter tout ça... J'arrive pas à réfléchir quand j'ai le ventre vide.

Encore une fois, Wilfried répondit par un geste de la tête, absent. David senti son malaise grandir. Il avait l'air beaucoup moins conciliant qu'Alma.

                                                                                                    ⸭

Alma pénétra dans le hall d'entrée, à la suite de Wilfried, suivie de près par David. Elle observa rapidement la pièce qui l'entourait, curieuse.


La maison dans laquelle avait aménagé Wilfried se situait dans un petit quartier résidentiel, à Greenwood. Il s'agissait du secteur traditionnellement habité par des familles irlandaises, relativement calme par rapport au reste de la ville. Calme, mais pauvre ; si son nouveau logement était suffisamment grand, il était évident qu'il ne s'agissait pas d'une maison tout à fait neuve. Les murs d'un blanc jauni en étaient la preuve.

Depuis qu'il avait quitté Langley, elle n'était encore jamais venue lui rendre visite. Bien sûr, elle se l'était promis, mais le train de la vie quotidienne avait fini par l'emporter. Elle trouvait dommage qu'il ait fallu qu'une catastrophe survienne pour qu'elle puisse voir à quoi ressemblait son nouveau chez-soi...

Eximius : Crâne d'ébèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant