L'aube dardait ses faibles rayons à travers les branchages. Le chemin caillouteux était devenu plus terreux ; de nombreuses fougères en avaient, d'ailleurs, pris possession.
Hélène avait depuis quelques mètres un titillante crampe au mollet gauche. Depuis quand roulaient-ils ? Elle était si fatiguée ! Ses paupières, lourdes, se fermaient d'elles-mêmes.
C'est alors que surgissaient dans son esprit des cauchemars oubliés : les chiens de cette nuit, les flammes de la course-poursuite en car il y a de cela un an, la course effrénée pour fuir Hestia, lorsque Alex menait encore l'équipe, le jour où elle avait sans le vouloir livré son frère à Valérie.
Le pire de tous, qui arrivait généralement en dernier comme le bouquet final d'un feu d'artifice, surgissait sous la forme d'une cellule décrépie et d'un bureau sombre.
Chaque fois que cette image surgissait, un coup de sang incontrôlé ramenait Hélène au temps présent. Il fallait se concentrer sur la route, rien que sur la route, se répétait-elle. Les cris des bêtes avaient cessés depuis longtemps mais les cœurs battaient exagérément vite, le nuage de peur pesait encore trop sur l'atmosphère.
_ J'en peux plus ! couina quelques kilomètres plus loin Juliette. Je suis épuisée ; je ne roule même plus droit.
_ Moi aussi, renchérit Hélène, bientôt suivie de Sophia, Simon et Côme.
Luc hocha la tête et posa pied à terre.
_ Faisons une pause, mais cette fois avec des tours de garde. L'inconscience est terminée.
_ Je prends le premier tour, coupa Jade en posant son vélo contre un arbre de l'autre côté de la barrière d'herbes hautes.
Ils étaient à présent dans un coin plus dégagé. Des arbres fins ombrageaient les environs de leur délicates feuilles couleur pomme. Le sol formait un tapis moelleux d'herbes hautes et de pissenlits.
_ Qui d'autre pour le premier tour ? reprit Luc d'une voix où perçait la fatigue.
_ Moi ! lança Hélène à son propre étonnement.
Luc ouvra des yeux surpris, mais ne commenta pas, trop heureux de dormir un peu.
La brunette se maudit dès l'instant où elle prononça cette phrase. Elle était éreintée ; pourquoi diable s'était-elle proposée ?
Les vélos furent vite entassés. Jade s'installa sur une grosse pierre émoussée. Hélène l'imita et se servit d'une racine comme fauteuil, appuyée contre le tronc noueux, puis elle dévisagea ses chanceux amis qui s'endormaient incessamment.
Chacun des deux couples s'étaient installés un peu à l'écart, main dans la main, serrés l'un contre l'autre,encore amoureux dans leur sommeil. Les trois derniers garçons se trouvaient au centre du champ de vison de la jeune fille.
Simon s'était étalé en étoile de mer en plein milieux de leur nid douillet, comme d'habitude. Côme se faisait discret, comme toujours. Il s'était replié sur lui-même, contre ce qui semblait être un châtaigner. Thibault, quant à lui, s'était lové en chien de fusil, aux pieds de sa sœur.
_ C'était sympa de te proposer, commença Jade. Bel esprit de sacrifice.
_ Ce n'était pas voulu, grogna Hélène, je n'ai pas réfléchi.
_ Ton inconscient est philanthrope, sourit la petite brune.
Hélène grommela quelque chose à propos de ce qu'elle pensait des états d'âme de son inconscient puis le silence s'installa, seulement troublé par le pépiement des oiseaux.
_ Ça fait bizarre... de retourner chez nous, commenta-t-elle à nouveau quelques minutes plus tard.
Jade hocha la tête.
_Cela fait seulement trois ans que je ne suis pas revenue mais j'ai l'impression que des dizaines d'années ont passé.
_ Qu'as-tu fait durant ces deux année et demi à Zeus, avant l'épidémie ?
_ Oh ! Pas grand chose... Je suis arrivée, un peu perdue, dans cette grande ville. L'année scolaire a rapidement commencé ; je n'ai pas eu le temps de me poser beaucoup de questions. Athéna me manquait, ma famille me manquait, surtout mes deux insupportables petits frères, mais j'étais prise dans le tourbillon scolaire.
« À l'école, je n'étais pas la seule un peu esseulée, il y avait tant compagnons arrachés à leur village pour le besoin des études – il faut dire aussi qu'il n'y a qu'une seule école de médecine sur tout le territoire. La première année a surtout été boulot, boulot, boulot. Il fallait se mettre au niveau des élèves des grandes villes qui avaient reçu un meilleur enseignement que nous, petits campagnards.
« L'année suivante, par pur hasard, au détour des couloirs, j'ai fait la rencontre de Léonard, membre loufoque de je-ne-sais-combien d'associations. Je crois que la première fois que je lui ai parlé, il distribuait des tracts pour une réunion à propos de je-ne-sais-plus-trop-quoi.
« L'année suivante, à peu près à la même période, j'ai fait la connaissance de Sophia, un an en dessous de moi. Nous étions à côté dans le dortoir, et puis, c'était utile de connaître quelqu'un du coin. On a un peu sympathisé. Nous n'étions pas amies, pas encore, mais une bonne entente régnait entre nous.
_ Et Alex ?
_ Ah ! Alex, Alex, Alex... Je crois qu'on peut dire qu'il me manquait. C'était même incontestable : il me manquait comme peu de personne pouvait le faire. Il avait été mon ami, puis un peu plus.
« Toutefois, il ne comprenait pas mon départ du village. Athéna était toute sa vie. Pas moi. J'avais besoin d'ailleurs, d'apprendre de nouvelles choses. De prendre mon envol. Les premiers temps, je lui ai écrit. Puis, les liens se sont distendus ; garder contact était comme s'enfoncer une épine dans le cœur.
« Je crois... je crois que lorsqu'il s'est proposé pour cette mission à la capitale, il pensait m'y retrouver. Il n'en a pas eu le temps, malheureusement. J'espère vraiment de tout cœur qu'on va trouver un remède à cette mutation.
« Je prie également pour qu'Alex soit encore en vie, chaque jour qui passe signifie un pas de plus vers la mort. Je ne l'ai pas revu depuis qu'il a débarqué à l'hôpital. Je n'ai pas eu la force de le voir dépérir. Il me manque tant !
La petite brune marqua un temps, ses yeux verts perdus dans le vague, fixant on-ne-sait-quoi parmi les arbres aux reflets dorés.
_ Tu sais Élé, c'est ton père qui m'a donné le goût de la médecine. Il m'a, de plus, toujours prise au sérieux. Je lui doit beaucoup. Dès qu'il aura reçu le remède, je le remercierai de vive voix. C'est important.
« J'aimais tant venir chez toi. C'était calme, parfois un peu triste certes, mais d'une quiétude fort agréable. Ton père m'expliquait les rudiments de la médecine. Ta mère ne parlait peu mais elle était si douce ! Quant à toi et à ta petite sœur, vous étiez des crèmes à côté de mes deux braillards de frangins !
Jade eut un petit rire nostalgique. Hélène hocha la tête, pensive. Elle ne s'était jamais vu comme une famille enviable, au contraire, et n'avait toujours que ressentit une tension sous-jacente, un faux silence camouflant les bruyantes pensées de chacun.
À cette lourde atmosphère, elle avait toujours préféré le joyeux bazar des Gwennmor. La brunette adorait la voix chantante et colorée de madame Gwennmor qui résonnait dans la petite maison à colombage. Elle appréciait rire aux blagues plus ou moins réussies de son mari et participer au tintamarre guilleret des enfants et du vieux chien, Lupa.
Le silence perdura entre les deux jeunes filles,toutes deux étant perdue dans leurs réflexions respectives.
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Épuria T.2 Fuite Immobile
AléatoireLe temps à passé ; les mystères se sont éclaircis. Il est temps de réparer les erreurs et d'aller de l'avant. Accepter le passé est difficile mais faire de même avec le présent est encore plus ardu, surtout quand on s'appelle Hélène Gwellbleiz et qu...