Enfin ! Ils étaient devant ! Depuis tout le temps ! Le vieux panneaux de granit envahit par le lierre venait de le leur annoncer. Des meules de foin avaient envahi avec ravissement leur paysage au cours de la journée. Le petit clocher granitique s'élevait au-dessus des maisons et du vieux mur d'enceinte anciennement délabré.
Anciennement délabré car, depuis leur départ, les espaces vides avaient été comblés de bric et de broc, de ferraille, de terre et de pierres disparates. La défense de la ville semblait s'être considérablement renforcée. Les Athénaiens seraient-ils devenus aussi fous que les habitants d'Hestia ?
Trois silhouettes émergèrent du dit mur et s'élancèrent vers la bande. L'une adulte, blonde, les cheveux attachés en queue de cheval, les traits durs et fatigués : Fleur. L'autre petite, avec deux tresses châtains et un petit nez en trompette : Edwige. La dernière silhouette était celle d'un jeune garçon aux cheveux bruns et aux yeux kaki, le teint hâlé : Léopold.
Des larmes dévalèrent les joues d'Hélène. La jeune fille lâcha son vélo et se précipita à la rencontre de sa sœur. Elle la serra de toutes ses forces dans ses bras en répétant comme une litanie « Tu m'as tant manqué, tant manqué, petit cœur, tant manqué... ».
Une fois les pleurs épuisés, la jeune fille releva la tête, sans pour autant amollir son étreinte. Au centre de son champ de vision se tenaient, serrés l'un contre l'autre, les frères Gwennmor. Les larmes qui roulaient le long de leur visage n'étaient pas des larmes de joie.
Celle qui inondaient la figure de Fleur non plus. Cette dernière tenta de se ressaisir, se racla la gorge et prit un ton faussement enjoué :
_ J'espère que vous nous ramenez quelques bonnes nouvelles dans vos bagages car ici, ce n'est pas jouasse !
Luc croisa le regard d'Hélène, la seule et unique bonne nouvelle compenserait-elle toutes les autres ?
_ Il y en a au moins une, et pas des moindres, rassura tout de même le blond.
Un timide sourire embellit les traits de la jeune femme que la fatigue et les problèmes vieillissaient prématurément.
_ Venez, reprit-elle, rentrez. Il va falloir vous annoncer les morts. H62 a aussi frappé ici, même parmi ceux atteint par la forme initiale d'Épuria. C'est à ne rien y comprendre. Toutefois, aucun cas n'a été aussi fulgurant que... que Jade.
Sa voix se brisa sur le dernier mot et mourut dans un sanglot étouffé.
La troupe passa les portes du bourg. Deux gardes étaient en faction, lance en main, contrôleur grand format en bandoulière. Les armes de la réserve avaient l'air d'avoir été sorties de leur long sommeil.
Une silhouette familière s'approcha d'eux, le pas légèrement chancelant, clope au bec. Ses cheveux auburn étaient en bataille, une barbe de trois jours lui mangeaient le menton, des valises lui cernaient les yeux ; il avait beaucoup maigrit.
Édouard ressemblait à présent à un cadavre ambulant, lui d'ordinaire si soigné.
_ Il a perdu ses deux parents et sa jumelle, glissa Fleur d'une voix éraillée juste avant que le jeune homme ne soit à porté de voix.
_ Serait-ce nos héros enfin de retour ? clama-t-il, la voix traînante de tristesse avinée.
_ Tout à fait, répondit Hélène avant d'ajouter, pour faire bonne mesure, on a une bonne nouvelle.
Comme si elle avait lu dans ses pensées, Sophia sortit triomphalement le petit flacon contenant le remède.
_ Une cuillère à café matin, midi et soir pendant trois jours, ajouta-t-elle avec un sourie étincelant.
Édouard et Fleur restèrent bouche-bée, fixant la fiole d'un air interdit.
_ C'est le traitement d'Épuria mais, il est inefficace sur H62, murmura prudemment Luc, tout en évitant soigneusement de fixer les deux chefs.
Hélène tourna sur elle-même. Ils étaient sur la toute petite placette de l'entrée du bourg.
_ Où est Sandrine ? questionna-t-elle soudainement.
Avant même que l'on ne lui réponde, elle avait déjà un mauvais pressentiment. Ce fut Fleur qui se chargea de formuler à haute voix ce que tous avaient compris silencieusement.
_ H62 l'a emporté il y a quatre mois de cela. La mutation a développer chez elle une forme plutôt lente. Elle a agonisé plusieurs jours durant.
La brunette n'avait jamais porté la bêcheuse et brutale Sandrine dans son cœur. Cependant, la nouvelle de sa mort arrachait un nouveau mur de son petit monde adolescent. Il y a quelques années de cela, elle était à mille lieux d'imaginer un tel futur !
Le pire restait le fait que, malgré les terribles événements, Hélène était ravie d'avoir pu lever le voile de son passé. Cette atroce joie réveillait en elle un sentiment de culpabilité, une tornade d'émotions contradictoires qui pesaient sur ses épaules chaque jour un peu plus.
Hélène fut tirée de ses réflexions par une main menue et douce sur son avant-bras.
_ Sandrine n'est pas la seule morte de H62. Il faut que je t'en annonce une autre.
La voix d'Edwige se cassa et la jeune adolescente réprima avec difficulté un sanglot, détournant ses yeux topaze.
_ Wi ?
Hélène s'accroupit. Edwige lui arrivait à présent aux oreilles, toutefois l'aînée ne put s'empêcher d'avoir cette attitude maternelle envers sa cadette. Une liste de noms plausibles défilait devant les iris chocolat d'Hélène, tous plus affreux les uns que les autres.
_ Maman, marmonna la plus jeune entre deux crises de larmes.
Hélène avait pensé à tous les prénoms, sauf à celui-ci. Fleur l'avait pourtant prévenue, la mutation touchait même ceux qui étaient atteints de la forme initiale mais, Hélène était restée persuadée que ses parents seraient toujours protégée.
Le choc fut tel qu'Hélène tomba les fesses sur le pavé, le visage exsangue, les yeux exorbités, la bouche ouverte. Son visage se plissa lentement, ses yeux se fermèrent, sa bouche se tordit, les commissures subissant une soudaine attraction terrestre, ses pommettes se marbrèrent de plaques rouges et les larmes dévalèrent ses joues, laissant des sillons salés sur sa peau poussiéreuse.
_ Et ce n'est pas la seule, annonça Fleur, la bouche sèche, le regard fixé sur la mousse qui mangeait les jointures des pierres au sol.
Tous se figèrent, le cœur au bord de l'implosion. On entendait plus que les sanglots étouffés d'Hélène et le frottement contre son chemisier de la main de sa sœur.
Fleur releva lentement la tête, ses lèvres pincées creusant davantage ses joues grisâtres. Son regard se posa immédiatement sur Luc.
_ Il s'agit de ta mère, Bihanvilienn.
Le jeune homme eut un haut de cœur et perdit l'équilibre. Il fut rattraper de justesse par Sophia et Blandine qui l'aidèrent à s'asseoir.
_ Je le savais que ça arriverait un jour, je le savais, s'étrangla-t-il, mais pas de cette façon là. Non, pas de cette façon là...
Hélène releva un instant les yeux et croisa, par hasard, ceux de Luc et y lut une tristesse semblable à la sienne. Ils avaient été les deux chanceux du quatuor à ne perdre personne ; ils payaient aujourd'hui leur aubaine à coup de larmes et de peine.
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Épuria T.2 Fuite Immobile
DiversosLe temps à passé ; les mystères se sont éclaircis. Il est temps de réparer les erreurs et d'aller de l'avant. Accepter le passé est difficile mais faire de même avec le présent est encore plus ardu, surtout quand on s'appelle Hélène Gwellbleiz et qu...