J-18

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Week-end, le premier de cette période. Emy a beau me dire que ça ne les ramènera pas, j'ai toujours été présente le samedi au cimetière. Cinq minutes, une heure, ça dépend de mes humeurs. Je passe la porte avec mon bouquet de roses blanches. Maryline adorait ces fleurs plus que tout autre choses. Elle en avait planté dans notre jardin mais je n'ai jamais eu le courage d'entretenir ce pauvre rosier après son départ.

Je me souviens du jour horrible de leur mort ; comment ce matin là j'avais pris le bus avec Zack vers mon lycée, comment j'avais ri avec Emy et les autres, comment j'étais rentrée dans le labo de physique avec ma blouse blanche pour le premier cours de ma journée. Je me souviens des moindres détails. Nous faisions un TP sur les lentilles, Emy me regardait au travers en me disant que j'étais soit plus grosse, soit plus mince. Le directeur est rentré dans la salle, a chuchoté quelque chose à la prof puis m'a demandé de le suivre. Je me souviens de ses mots, ils résonnent dans ma tête jours et nuits.

" Je suis désolé mademoiselle, on m'a appelé il y a un quart d'heure pour me signaler un accident de la route dont votre mère et votre sœur ont été victimes. Elles sont à l'hôpital et je comprendrais que vous vouliez les rejoindre. Je souhaite vous adresser mon soutien... "

Dans ma tête, une seule pensée que je me répétais sans conviction.

" Ce n'est pas possible. Ce genre de chose n'arrive qu'aux autres. Ce n'est pas possible."

Je restais paralysée par l'effroi. Puis, doucement, je saisissais tout ce que mon cerveau refusait.

" Je ne veux pas les perdre comme j'ai perdu mon père, je ne veux pas être seule, je ne veux pas être orpheline."

C'était égoïste de vouloir, des caprices d'enfants. Mais je voulais. Et dans la vie on a pas toujours ce que l'on veut.

Sur le chemin de l'hôpital, je ne pensais à rien d'autre qu'à elles. Aux souvenirs, tous ce que je pouvais me rappeler d'heureux les concernant. Aujourd'hui encore, quand je suis sur le point de craquer, je me rappelle tout ce que j'ai pu vivre avec elles. Chaque heure, chaque minute, chaque seconde. Et je n'ai jamais réussi à finir ma liste tant elle est complète.

En arrivant à l'hôpital, un médecin et un psy m'ont accueilli. Je les ai dépassé nonchalamment. Je me suis précipitée dans la chambre de ma sœur. Elle était consciente. Elle m'a dit d'aller voir maman pour lui donner des nouvelles. J'arrivais devant la chambre de ma mère quand je voyais les médecins lui faire un massage cardiaque.

Une heure plus tard, j'étais dans la chambre de ma sœur. Je lui avais raconté ce que j'avais vu. Nous étions restées silencieuses jusqu'à ce qu'un médecin nous annonce sa mort. Ma sœur en a fait une crise cardiaque et a rendu l'âme quelques minutes après. Mes pires cauchemars prenaient forme. Pendant que ma famille m'entouraient, mes amis arrivaient à l'hôpital pour nous soutenir. Emy, Phil et surtout Zack ont été là à chaque instant. Au funérarium, à l'église, au cimetière. Emy pleurait dans les bras de Phil pendant que Zack me consolait. Ma mère a toujours considéré Emy et Zack comme ses propres enfants, les parents d'Emy travaillant à l'étranger et la mère de Zack étant dans un centre de désintoxication depuis maintenant deux ans.

Je marche dans la longue allée bordée d'arbres sans feuille. Mes pensées m'ont empêché de voir l'homme qui se tenait près de leur tombe. Il est de dos, je n'arrive pas à le reconnaître tout de suite. Mais j'arrive maintenant à sa hauteur et mes yeux n'arrivent pas à comprendre, mon cerveau bloque.

Mon père se tenait là, devant la tombe des femmes qu'il a abandonné.

Il est légèrement plus bronzé mais sinon il est le même que dans mes souvenirs lointains, ceux dont je me suis souvenus avec les photos de Zack.

J'arrive à sa hauteur et me mets face à lui en le regardant dans les yeux.

" - Abby, ma petite fille, ce qu'il me reste de ma famille...
- Voilà ce qu'il reste de ta famille Papa. C'est bien que tu viennes l'état des lieux  en voyant qu'il ne reste plus que moi. C'est bien aussi que tu es retrouvé le chemin de la maison, ça faisait quoi ? 10 ans que tu t'étais perdu ? Tu étais où pendant que nous avons grandi avec Maryline ? Tu étais où quand maman s'est effondrée après ton départ en ne comprenant pas ?  Tu sais on récoltes ce que l'on sème dans la vie, et tout porte à croire que tu nous as bien plantés, en beauté. Tu réalises un temps soit peu ce que tu nous as fait ? Ce que ça m'a fait de devenir orpheline à 18 ans ? De les voir toutes les deux partir sans mon père pour me soutenir ? Tu sais ce que tu as fait de moi ? Je n'arrive pas à m'en sortir, je craque constamment, je me remets sans cesse en question, je culpabilise de ton départ. Je ne suis plus ni forte ni indépendante depuis qu'elles sont parties. "

Il m'a laissé lui dire tout ce que je pensais de lui, cracher sur lui sans m'interrompre, sans ciller, sans bouger.

" - Abby, ça fait si longtemps qu'on ne s'est pas vu. Si tu savais ...
- Pars.
- Abby s'il te plaît écoutes moi. Je peux tout t'expliquer.
- Pars ! "

Il rouvre la bouche mais aussitôt je lui désigne la sortie. Il part finalement, lentement, comme s'il commençait à comprendre ses erreurs, comme s'il regrettait. Je mets mes fleurs dans le vase et pars en courant du cimetière. Je m'arrête à deux trois maisons de la mienne. Quelqu'un est devant ma porte. Je me souviens de ce foutu calendrier de l'Avent. J'avance vers ma maison et distingue Zack à travers ma vision brouillée de larmes.

Il s'approche de moi et pose ses mains sur mes épaules.

" - Abby qu'est ce qu'il se passe ?
- Rien."

Il relève mon menton pour me regarder dans les yeux.

" - Abby qu'est ce qu'il se passe ?
- Mon père...
- Ton père quoi ?
- Il était au cimetière Zack !"

J'éclate en sanglots, il me serre contre lui. Je ne peux plus m'arrêter. Tout ressort à ce moment là. Je suis fatiguée, déprimée et perdue. Je ne sais plus qui je suis et ce que je dois faire pour avancer. Il fouille dans ma poche de veste et trouve mes clés. Il me guide vers l'intérieur de la maison et m'aide à m'allonger sur le canapé.

Je me réveille quelques heures plus tard, vers vingt deux heures selon mon portable. Je suis toujours allongée sur mon canapé, sur le ventre.

Mes yeux me piquent, ils doivent sans doute être rouge. Je décide de me rendormir mais en fermant les yeux je sens un souffle dans mon dos. Je me retourne sur moi-même doucement pour découvrir Zack en train de dormir les jambes sur le sol et les bras sur le canapé. Sa tête est posée sur son avant bras droit.

Je n'ai pas vu Zack dormir depuis un moment. Il paraît presque fragile comme ça. Cette air d'innocence que je vois sur son visage le rend plutôt mignon.

Je ferme les yeux et me replonge dans un sommeil profond.

Mon calendrier de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant