_19 août 1786_
Mère se trouvait encore à l'hôpital. La veille, après être passés chez l'ébéniste, nous avions été rendre visite à Père. Il était très fatigué et baignait de sueur. Des infirmières était à sa disposition, tout comme deux policiers était placés à l'entrée de la chambre. Le médecin lui avait fait des prises de sang qu'il examinait avec soin pour trouver d'où venait le problème. C'était apparemment plus qu'un coup de chaleur.
Dans l'ordre des choses, l'insolation aurait dû s'affaiblir au bout de quelques jours, alors que là, les symptômes persistaient sans même s'améliorer. Nous avions insisté pour que Mère se repose au château, l'un de nous aurait pris la relève, mais elle refusait catégoriquement. Elle ne dormait que quelques heures sur une chaise, mais ce n'était qu'un sommeil très léger. Elle arborait de grandes cernes et des yeux mi-clos. Si cela continuait, c'est elle qui finirait par se rendre malade.
Dans toute cette agitation, Julian avait pris le temps de se présenter aux parents de Flora. Les deux hommes avaient l'air de bien s'apprécier. Ils discutaient sciences des heures dans le salon, pendant que nous préparions le déjeuner.
L'ébéniste passa pour décomposer le lit et prendre la pièce qui l'intéressait et la recréer à partir d'un nouveau bois. Juste après, de ce que m'avait prévu Père sur le calendrier, je partis voir les travaux du second hôpital. Le sol et quelques murs du rez-de-chaussée étaient montés mais il n'y avait personne sur le chantier.
- Où sont-ils tous passés ?
- Très bonne question...
Le sol était tellement dur que mes talons me faisaient mal en marchant. Il n'avait pas plu depuis des semaines, les arbres s'asséchaient petit à petit, l'herbe jaunie par le soleil, les fleurs fanées. Julian et moi nous séparâmes pour regarder aux alentours. Bien au fond, caché par la végétation, un abri-bois s'élevait. Les ouvriers étaient réunis dessous, caché du soleil, ils discutaient.
- On ne dérange pas j'espère ? dis-je d'un ton accusateur.
- Hein ?
- Quoi ?
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Princesse !
- Vous êtes payés à ne rien faire ?
- Bien sûr que non, princesse. Nous ne nous le permettrions pas.
- Je ne vois pas de matériel sorti, rien qui laisse à penser que vous avez un minimum travaillé. Alors dîtes-moi, que faîtes-vous ?
- Écoutez, nous sommes tous épuisé à cause de la chaleur, nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions. Le mortier sèche trop vite.
- Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenu alors ?
Question inutile. Se faire payer pour un travail non fait était plus intéressant. Je leur proposais un marché : venir sur le chantier le matin et être libre l'après-midi. Jusqu'à ce que les températures baissent d'une dizaine de degré. Quarante-huit degrés au soleil, c'était en effet insupportable.
Dans la calèche, je regardais le calendrier. Lundi, il me fallait suivre Flora à l'orphelinat pour deux adoptions auxquelles je devais consentir. Mardi, nous avions prévus de faire une ballade à cheval. Jeudi, inauguration d'une galerie d'art regroupant plusieurs artistes génoviens. Et samedi, préparation du bal d'été pour le soir.
J'ouvrais la petite fenêtre à l'avant pour parler à Jean :
- Pourrions-nous passer à l'hôpital ? J'ai une question à poser à Mère.
- Bien sûr.
- Petit détour de dernière minute, quelque chose ne va pas ? demanda Julian.
- C'est pour le bal. Nous devons commencer à savoir ce qui va être installé. Mais c'est l'ouverture qui m'inquiète. Si Père est encore dans cet état la semaine prochaine, c'est moi qui vais devoir ouvrir le bal.
- Mais tu ne vas pas l'ouvrir seule ce bal ?
- C'est exactement mon problème. Quoique... Est-ce que cela te dérangerais de devenir mon cavalier ? Juste pour une danse.
- Anne-Lise, je t'ai déjà dit que je ne savais pas danser.
- Je peux t'apprendre. En une semaine, c'est possible tu sais.
Il n'approuva ni désapprouva pour la bonne raison qu'il préférait demander l'avis de mes parents sur le sujet.
La chambre, petit espace couvert de lambris et de parquet vieilli, peintures écaillées, lit en bois massif, ne donnait pas bonne impression à l'arrivée. Il était tant que le nouvel hôpital se termine. Mère dormait sur sa chaise, je ne voulais pas la réveiller. Je me posais à la droite de mon géniteur, lui prenant la main pour l'encourager dans sa guérison. Il ouvrit les yeux.
- Comment allez-vous ?
- Je me fais soigner.
- Qu'avez-vous ? Est-ce grave ?
- Le médecin n'arrive pas à déterminer ce que j'ai. Je suis très fatigué, j'ai des migraines horribles, enfin... Tu es ici pour quelque chose ?
Il parlait d'une voix chevrotante et basse. Il m'écouta attentivement, sans me couper et finalement accorder à Julian d'être mon partenaire, tout en n'oubliant pas son devoir de garde du corps.
Du soir, Flora se sentit obligée de me poser des questions :
- Comment a-t-il réagit ? Il va vraiment apprendre à danser avec toi ? Je n'en reviens pas qu'il est accepté de faire l'ouverture avec toi. C'est quand même un grand événement ! Il va être regardé de toute part.
Peu après, alors que nous allions nous coucher, elle fit irruption dans ma chambre :
- Il a certainement une bonne raison de t'avoir dit « oui ». Il a une motivation quelconque !
Elle me regardait comme si je connaissais la réponse. Elle essayait de me suggérer une idée, sûrement farfelue.
- Je suis fatigué, Flo'. Alors, s'il te plaît, dis-moi ce que tu as encore inventé. Je n'ai pas envie de jouer aux devinettes.
Je fermais les rideaux et commençais à revenir vers mon lit pour soulever les draps.
- L'amour.
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Pour l'amour de ma Génovie
RomanceAnne-Lise est une jeune fille de 19 ans, vivant sa vie de princesse avec une certaine colère envers son père les premiers jours. Bien heureusement, sa meilleure amie, Flora, est là pour l'aider dans ses choix. La pauvre est persécutée de toutes part...