Chapitre 36

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_17 décembre 1786_

Le soleil n'était pas encore levé que nous partions déjà. Ordre du roi, nous ne devions pas nous arrêter là où nous avions l'habitude sur nos trajets direction Paris, mais plutôt privilégier des auberges plus petites et dans de petites villes tout en faisant au mieux pour arriver le plus vite possible.
C'est ainsi qu'à midi, nous nous arrêtâmes un peu après Digne-Les-Bains pour déjeuner. J'avais dormi une bonne partie du trajet et il me sembla que Julian en avait fait autant.
Nous étions encore bien trop proche de la Génovie pour que je montre mon visage. Je laissai donc tomber quelques mèches châtains sur mon visage et rabattis la capuche de ma cape d'hiver sur le reste de ma chevelure.
Notre fiacre était des plus modestes et je n'avais pas emporté mon diadème, ce qui éviterait tout problème si par mégarde mes valises étaient ouvertes. Père m'avait fournie une bourse qui contenait bien trop d'argent pour nous trois mais il était bon de prévoir plus dans le cas où nous en aurions besoin. Je la confiais à Julian ainsi qu'une dérogation qu'il lui avait écrite. Il était bien plus sûr que ce soit lui qui paye à ma place, cela éveillerait moins les soupçons.
- Jean, savez-vous comment se porte Suzanne, la jument que montait Julian vendredi ?
- D'après Paolo, que j'ai vu ce matin, elle s'en remet doucement. Il lui panse sa plaie dès qu'il le faut et la sort quelque peu chaque jour.
- Il en prend soin, affirma Julian.
- J'aurais tout de même aimé aller la voir. Quel est la prochaine étape du trajet ? demandai-je pour changer de sujet.
- Nous allons rejoindre les grands axes avant la nuit. Cela nous permettra d'arriver bien plus vite ensuite. J'ai appris qu'un autre incident avait eu lieu hier soir ?
Mon garde du corps lui relata la soirée mouvementée que nous avions eu et le groupe auquel nous avions affaire. Terminant notre repas bien vite, nous reprîmes la route.
- Qu'aviez-vous prévu pour les fêtes en famille ? m'enquis-je.
- Nous devions partir en compagnie de ma sœur et de son mari pour rejoindre ma grand-mère dans son chalet et la famille de ma tante. De ton côté, comment fêtez-vous Noël ?
- Une simple soirée au coin du feu avec des gâteaux et Père qui nous lit un conte. Nous discutons calmement de sujets divers. Cela dérive parfois sur certains problèmes politiques, me mis-je à rire. Au fait, est-ce que ta mère a apprécié sa danse au bras du roi ?
- Elle a rendu mon père fou de jalousie et il s'est donné pour objectif de danser aussi bien que lui pour le prochain bal.
Nous nous mîmes à rire de bon cœur à des anecdotes sur nos parents respectifs. Cela nous fit passer une bonne partie de l'après-midi.
Quand notre cocher s'arrêta enfin dans une auberge pour la nuit, il était déjà plus de 19 heures et la neige tombait par gros flocons. Selon lui, nous n'arriverions à Paris que dans la journée du surlendemain.

Le deuxième jour de route fut aussi calme que le premier.
Avant d'arriver là-bas, je devais prévenir Julian sur certaines règles de conduite face au roi et à la reine mais aussi envers le prince.
- Quoique tu les es déjà rencontrés tous les trois, ici, ils seront dans leur élément. En présence du roi, seul, tu peux lui adresser la parole comme bon te semble, tant que tu n'es entendu de personne d'autres. Ne surtout pas hausser le ton avant lui et toujours rester poli. Dès qu'il sera entouré d'employé au château, aucun sujet de politique n'est toléré sauf s'il te l'autorise expressément. Surveille à qui tu parles et ce que tu dis. Ne laisse échapper aucun secret, aucune remarque déplacée sur un membre de la famille royale, même éloigné.
- On a le droit de respirer ?
- Bien sûr, répondis-je en rigolant. Ils sont juste très stricte quant aux lois et respect de la hiérarchie. Le roi ne veut surtout pas se laisser marcher sur les pieds par quelqu'un d'inférieur à lui. Et pour le reste : les murs ont des oreilles.
- Les femmes de chambre bavardent je suppose ?
- Exactement. Mais il n'y a pas que les femmes. Je te recommanderai certains d'entre eux à qui tu pourras faire entièrement confiance, mais ils sont peu.
- Je m'en doute. Et pour la reine et le prince ?
- La reine, il n'y a pas grand chose à en dire, me mis-je à réfléchir. Surveille tes paroles. Et Timothée, ce n'est pas bien compliqué, il est aussi arrogant que son père, mais bien moins à cheval sur les règles.
- J'avais cru remarquer.

L'arrivée dans Paris, le matin suivant, l'impressionna. La neige et les stalactites s'accrochaient aux bâtisses. Les rues principales étaient bien plus grandes qu'à Génovia. Les vitrines des magasins étaient toutes décorées pour les fêtes. Les rues, pavées d'une certaine manière, s'accordaient magnifiquement avec les différents bâtiments qui les bordaient.
Le palais l'émerveilla. Rien que part sa grandeur et ses dorures, les détails appliqués aux pierres, les jardins présents à l'entrée. Nous dûmes tout de même nous faire introduire auprès du roi, par les gardes, en dévoilant mon identité, mais en leur demandant le silence.
- Très chère Anne-Lise, mais que fais-tu donc par ici ?
Nous nous trouvions dans l'antichambre bleue dans laquelle on nous avait demandé de nous installer en attendant les hôtes. J'étais face au feu dans la cheminée quand la voix de Timothée avait résonné.
- J'espère que nous ne dérangeons pas ? demandai-je en me retournant pour lui faire face.
- Jamais tu ne me dérangeras, souffla-t-il en déposant un baiser sur ma main.
- Majestés, m'inclinai-je en m'adressant au couple qui venait d'entrer à la suite du prince, incitant ainsi les deux hommes à mes côtés à faire de même.
- Anne-Lise ? Mais où sont donc vos parents ? chercha Astrid.
- C'est un sujet dont je dois justement vous toucher mot, mais en privé si cela ne vous dérange pas.
Le roi fit sortir ses fidèles gardes et la femme de chambre qui venait d'apporter des tasses et un pichet en porcelaine sur un plateau doré. Quand la porte du petit salon se referma, nous nous assîmes dans les larges fauteuils et banquettes près de nous.
Julian et moi relatâmes les événements des jours précédents et le sujet de ma venue. Ils nous offrirent volontiers le gîte et acceptèrent de ne rien divulguer tout en garantissant le silence de leurs employés.
- Anne-Lise, Monsieur Valinger, vous n'aurez qu'à prendre vos chambres habituelles dans l'aile ouest du palais, proposa Nicolas. Monsieur Larson, vous pourrez prendre la chambre face à celle de Monsieur Valinger.
- Je vous remercie.
- Merci beaucoup, Votre Majesté. Nous en sommes très reconnaissant. Père m'a confiée une lettre vous étant destinée. Elle se trouve dans mes valises. Je vous la ferais parvenir au plus vite. Elle reprend ce que nous vous avons dit.
- Bien. Les domestiques vont monter vos valises. Timothée, veux-tu bien accompagner nos invités ?
- Bien sûr, Père.
Le prince nous proposa de nous reposer avant de prendre le repas en leur compagnie. Il nous annonça qu'une représentation des Noces de Figaro avait lieu ce soir au Théâtre de l'Odéon. Lui et ses parents devaient y assister. Par gentillesse, j'acceptai l'invitation en lui rappelant bien que je ferais en sorte de ne pas me faire remarquer.
- Nous entrerons avant tous. Notre loge se trouve au sommet du Théâtre. Personne ne te verra.
- Alors ce sera parfait.

Une femme de chambre que je ne connaissais pas encore m'attendait afin de ranger mes affaires dans les armoires.
- Sophia n'est pas là ? C'est elle qui s'occupe de moi habituellement, me souciai-je une fois seule.
- Elle est partie, Mademoiselle.
- Oh, je m'occuperai de la dernière valise, ne vous inquiétez pas, l'arrêtai-je.
- Mais...
- Je vous assure. Je n'aime pas beaucoup être assistée.
- Alors voulez-vous mettre autre chose pour la journée, à la place de votre tenue de voyage ? insista-t-elle.
- Non, ça ira. Je vous remercie.
- Bien. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, sonnez la cloche à côté de la porte et je viendrai.
Sur ces mots, elle me laissa enfin seule. J'ouvris la dernière valise et sortis chaussures et lettres. Je prenais soin de bien cacher ces dernières dans la doublure intérieure du sac de voyage.
Que pouvait-il donc être arrivé à ma charmante Sophia ? Elle qui était née dans ce château et adorait ces lieux...

L'opéra comique fut une merveille. Les comédiens se donnaient si bien la réplique et les plaisanteries nous faisaient tellement rire que nous ne voyions pas le temps passer.

Pour l'amour de ma GénovieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant