_8 mars 1786_
- Mais père ! J'ai 19 ans depuis déjà plusieurs semaines et vous continuez à vouloir me protéger comme si j'avais 12 ans ! Est-ce qu'un jour vous pourrez me voir comme une adulte ?
Nous étions en plein milieu du repas, et le même sujet de conversation était remis sur la table.
- Et est-ce que tu pourrais comprendre, un jour, que certaines personnes préféreraient te voir morte ou à renoncer au trône plutôt que de te voir prendre le pouvoir à ma suite ?
Mon père, le roi, était un homme fort qui ne me dépassait que de quelques centimètres. Il avait accédé au trône de la Génovie à la mort de mes grands-parents, dans un incendie provoqué par des hommes masqués, armés de fusils et de grenades. Ils avaient tiré, par revanche il me semble, sur tout le village. Mes grands-parents étant, à ce moment-là, dans le village pour un échange de marchandises. C'était donc avec douleur qu'à 26 ans, il fut le nouveau roi, accompagné par sa fiancée, ma mère, qu'il épousa quelques mois plus tard.
- De toute façon, j'ai demandé à l'unité de police de Génovia de former un homme à devenir ton garde du corps.
- Quoi ! nous sommes nous exclamées.
Ma mère et ma meilleure amie étaient aussi étonnées d'entendre cela que j'en étais outrée.
- Tu n'as pas fait ça, Philippe, tout de même ?
- Ania, je n'ai pas le choix. Nous devons l'accompagner à chacun de ses déplacements. Si jamais nous nous retrouvons face à un grave problème, nous ne pourrons peut-être rien faire. La semaine dernière, Anne-Lise s'est retrouvée à quelques centimètres d'une flèche. Avant-hier, un homme l'a menacée.
- Mais c'est bien vous qui voulez que je sois protégée. Je n'ai jamais demandé à être suivi partout. Je reconnais qu'il faut que je fasse un peu plus attention mais ce n'est pas une raison...
- Je le sais et c'est pour ça que j'ai demandé à ce que ce soit une seule et même personne qui soit à tes côtés en permanence. Tu as besoin de protection. Rappelle-toi la dernière fois que nous avons vu la famille Toselli, Josepe t'a bien dit qu'il te ferait tomber un jour et qu'il chercherais la moindre erreur de ta part pour y parvenir. De plus, je sais très bien qu'il ferait tout pour avoir la Génovie.
- J'ai tout de même mon mot à dire. La principale concernée dans cette histoire, c'est moi. Et j'espère juste qu'il me laissera vivre en gardant ses distances.
- Oui, bien sûr, mais je ne changerais pas d'avis pour autant. Ce garçon vient demain, je l'ai convoqué pour discuter. En même temps, je vous le présenterais. Maintenant, nous pouvons peut-être terminer de manger ? demanda-t-il en me regardant bien dans les yeux.
Je me levai de table pour me réfugier dans ma chambre. Je connaissais mon père et ce genre de paroles réconfortantes étaient souvent des choses qu'il oubliait l'instant d'après.
Je m'étais assise contre le mur et la baie vitrée, un livre sur les cuisses. J'étais absorbée par ma lecture, j'entendis tout de même frapper à ma porte. Je ne répondis pas, et pourtant, je vis Flora apparaître dans l'encadrement.
- C'est le livre qu'a percuté le garçon de la bibliothèque ?
Je souris et mon amie s'installa à mes côtés. Pendant un long moment, on regarda les étoiles sans rien dire. Puis, Flora plaisanta sur le sujet sensible :
- Au moins, il y aura un avantage à tout ça.
- Lequel ?
- Il y aura un bel homme près de toi pour te protéger à chaque instant. A espérer qu'il soit beau à regarder en tout cas...
- C'est vrai... Mais il pourrait très bien être vieux aussi.
- Ça n'empêche pas qu'il soit beau !
Nous nous souhaitâmes une bonne nuit et Flora repartit dans sa chambre, contiguë à la mienne.
Quand l'homme arriva, il était presque 14 heures, nous étions jeudi, de légères éclaircies apparaissaient entre des nuages qui menaçaient de pleuvoir, certainement le lendemain. Flora et moi nous étions installées à la fenêtre de la chambre d'amis pour le voir passer. Quand je le vis, tête haute, sûr de lui et regard droit, je me retournai et chuchotai pour moi-même :
- C'est pas vrai !
- Que se passe-t-il ? T'as vu un fantôme ?
- C'est le garçon de la bibliothèque. Celui qui m'a percuté ! rajoutai-je en voyant le regard interrogateur de mon amie.
- Tu es sûre ?
On se regarda et rapidement, tout en discrétion, nous fonçâmes vers le haut de l'escalier qui comportait une balustrade de laquelle on pouvait voir l'entrée. Ce fut Juliette, l'une des femmes de chambre, qui alla ouvrir. On tendit l'oreille pour savoir ce qu'il se disait :
- Bonjour Monsieur, vous souhaitez ?
- Bonjour Mademoiselle, j'ai rendez-vous avec le roi. Je m'appelle Julian Larson.
- Bien, entrez. Je vais l'informer de votre arrivée.
Il la remercia et Juliette partit dans le fond de la pièce, en direction du bureau de mon père. Flora se tourna vers moi et me confirma en toute discrétion qu'il était très beau. Je la fis taire en lui mettant un doigt sur la bouche. Elle n'avait pas tord, mais ce n'était pas le moment pour nous que cet homme entende nos conversations.
- Il vous attend.
Lorsque la porte du bureau de mon père fut refermée, on descendit pour écouter. Bon, d'accord, c'était mal, mais bon... C'était mon avenir aussi...
- Qu'est-ce que vous faîtes toutes les deux ?
Je sursautai et Flora se retourna pour lancer un « Chut ! » à Juliette.
Malheureusement, j'appris juste ce que je ne voulais pas entendre : cet homme allait me suivre partout dans mes déplacements en dehors du château. Quand on en eu assez d'entendre ce que nous savions déjà, je partis m'occuper des rosiers dans notre vaste jardin.
Tout le monde pensait qu'être princesse c'était sympathique, qu'on pouvait s'amuser tout le temps, ne jamais travailler de sa vie, être riche, avoir tous les hommes que l'on voulait, voyager, être bien habillé, et j'en passais. Sauf que ce n'était pas ça ! Être princesse, c'était : bien se nourrir pour n'être ni obèse ni anorexique, apprendre les droits et les devoirs de chacun, bien s'habiller pour éviter d'être mal regarder et faire la une des journaux, répondre aux attentes principales de son peuple sur son pays, faire des compromis avec les pays alentours pour des projets ou autres...
Je m'énervais un peu à ce moment-là je crois... Savoir que j'étais épiée de toutes parts me faisait froid dans le dos, je devais l'avouer.
Pour un mois de Mars, je trouvais qu'il faisait assez bon. J'avais promis à Roger, notre jardinier, de m'occuper des plantes en son absence. Le pauvre avait fait une mauvaise chute depuis l'une des branches d'un pommier, et à 55 ans, il avait un peu de mal à se remettre rapidement.
- Annie ! Annie !
- Je suis là, Flo'. Tu es obligée de m'appeler comme ça quand il y a quelqu'un au château ?
- Pardon... Tes parents t'attendent dans le salon avec le garçon.
Ma mère était installée dans le canapé contre le mur, alors que mon père et cet homme étaient dans les fauteuils qui se faisaient face de chaque côté de la table basse.
- Assois-toi, je te prie. Je te présente Monsieur Larson qui a été formé à ma demande.
- Nous nous sommes déjà croisés.
- A la bibliothèque, il y a une semaine, votre Altesse.
- Oh ! Vous avez donc un point commun.
Je m'assis à côté de ma mère et entendis le même discours que celui que nous avions écouté à travers la porte quelques minutes plus tôt.
Pendant tout ce temps, je ne voulus même pas croiser le regard de mon « garde du corps ». Il aurait pu y lire la haine que j'avais envers mon père, et montrer ses émotions à quelqu'un qu'on ne connaissait pas, ce n'était jamais un bon commencement.
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Pour l'amour de ma Génovie
RomanceAnne-Lise est une jeune fille de 19 ans, vivant sa vie de princesse avec une certaine colère envers son père les premiers jours. Bien heureusement, sa meilleure amie, Flora, est là pour l'aider dans ses choix. La pauvre est persécutée de toutes part...