Chapitre 21

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_5 septembre 1786_

Quand elle se fut réellement calmée, je me montrai du doigt en lui disant mon prénom, puis je la désignai elle. De premier abord, elle ne comprit pas, alors je recommençai puis pointai la nonne qui lui dit son prénom. La jeune fille fini par comprendre et nous répondit, penaude :
- Tatjana.
Alors je me levai et la pris par la main pour l'entraîner vers le lit nous asseoir.
- Julian, tu peux revenir.
Il s'avança doucement dans la chambre et la petite se cacha la tête contre ma poitrine, ses mains étaient fermement attachées à moi. Elle avait peur. Je fis signe de la tête à mon garde du corps de s'approcher.
- Il s'appelle Julian. Il est très gentil, dis-je en essayant de trouver ses yeux.
Elle ne daigna pas se tourner et l'arrivée de monsieur Quonteau n'arrangea pas les choses. Il tenta plusieurs approches dans de nombreuses langues sans qu'elle ne réponde : anglais, allemand, grecque, arabe, italien, espagnol. Il se restreignait aux environs de la Génovie et le pourtour de la Méditerranée. Il réussit à lui faire tourner la tête avec une phrase que nous ne comprenions pas.
- Du croate.
- Et bien...
- C'est inhabituel.
- En effet.
Il commença à lui parler mais elle gardait une certaine réserve et ne se détachait pas de mon bras. Je lui appris sa frayeur pour les hommes qu'elle voyait et il lui demanda alors pourquoi elle était ainsi apeurée. Aucune réponse, elle monta simplement sur le lit pour se mettre derrière mon dos. Qu'avait-elle subi ? Sûrement des choses affreuses qu'elle n'arrivait pas à exprimer. Comment allions-nous faire ?
- Elle pourrait rester ici le temps de trouver une solution pour la comprendre et la renvoyer chez elle.
- Oui.
La mère supérieure partit lui chercher de quoi se restaurer et du linge. Les hommes nous accompagnèrent jusqu'à la salle d'eau mais ne restèrent pas. En la déshabillant, nous découvrîmes une multitudes de bleus et d'entailles sur le dos, la poitrine, les jambes et les bras. Nous nous mîmes à la nettoyer chacune avec soin, depuis les cheveux jusqu'aux orteils. Autant dire que l'eau n'était pas très propre à la fin. Exposant la situation au traducteur, il réessaya de poser quelques questions toujours sans réponses.
Il proposa de repasser les jours suivants pour continuer à en savoir plus. La nonne nous assura pouvoir se débrouiller pour la soirée et nous repartîmes tous. Je priais alors le cocher de passer par les docks. Il était déjà bien tard et mon estomac criait famine. Je devais me renseigner le plus possible sur cette affaire.
Les dockers m'apprirent qu'un navire en provenance de la Grèce avait accosté 2 jours auparavant mais était déjà repartit.
- Que transportait-il ?
- Des tissus, des céramiques, du vin, des récoltes.
- Rien de suspect.
- Y'm'semble pas. Mais j'suis pas monté dans l'bateau. Y's ont déposés les commandes habituelles eux-mêmes et pis sont r'partit l'lendemain.
- Vous n'avez pas vu une petite fille descendre par hasard ?
- Non. Pas d'filles ici. Enfin attendez, j'vais d'mander à Momo, c'est lui qui reste la nuit et y d'vrait pas tarder à arriver.
Il continuait à pleuvoir, nous attendions dans le hangar principal. Julian émettait des hypothèses sur la jeune fille. La mère supérieure et moi-même avions déjà notre idée, ce qui nous faisait comprendre pourquoi la vue des hommes lui était insupportable. Au moment de lui nettoyer l'entre-jambes, elle s'était recroquevillée d'un seul coup, nous faisant peur. Des bleus bien plus nombreux que sur ses bras. Elle n'avait plus voulu que nous la touchions après cela.
- Julian.
Il tournait en rond, ruminant sur des solutions envisageables.
- Julian ! Arrête... Tu dois savoir autant que moi ce qu'elle a subi. Elle a été violée sans aucune délicatesse et bien plus d'une fois, m'exprimai-je sérieuse et triste à la fois.
J'étais vraiment mal pour cette petite, elle me faisait de la peine. Je n'arrivais même à imaginer sa souffrance et sa frustration sur ce navire dans lequel elle était contre son gré. Le deuxième docker ne nous appris rien de plus, n'ayant rien remarqué.

Ce soir-là, assise dans le salon, peignoir sur le dos, jambes contre la poitrine, j'expliquais tristement à ma famille le cas de cette petite. Mère me prit dans ses bras un moment et Marie changea le sujet de conversation pour annoncer à sa mère ses fiançailles avec Tristan.
- William ! Tu étais au courant.
- Ce jeune homme est venu me voir avant de faire sa demande à notre fille.
- Et pourquoi suis-je la dernière au courant ? Ça fait combien de temps ?
- J'avais peur de te l'annoncer... Il... Il n'est pas catholique. Et il a fait sa proposition il y a une semaine.
- Où travaille-t-il ? Que fait-t-il ?
- Il est historien et voyage beaucoup pour recueillir les informations qu'il souhaite.
Mère et fille commencèrent à se quereller, menant mon oncle avec elles. Ma mère partit chercher les cookies dans le four et je la suivis.
- Qu'a dit le médecin ? Pour Père, je veux dire.
- Pour le moment, monsieur Valon n'arrive toujours à déterminer ce qu'il a pu avoir, ce qui l'inquiète un peu. Mais il s'est bien rétabli, il a juste une santé plus fragile que d'autres.
- Certes. Ce qui fait qu'il est susceptible de rattraper la même maladie.
- Oui... Et toi, tu ne m'as pas parlée de ton courrier. Ce que tu as reçu hier, dit-elle avec un clin d'œil amusé.
- Ah... ça... Ce n'était rien d'autre qu'une simple lettre...
- Anne-Lise, je ne suis pas dupe. Et comme tu es ma fille, je remarque tout un tas de petites choses car tu me ressembles plus que tu ne le penses.
- Comme quoi par exemple ?
Elle posa le plat de biscuits sur la table et me prit les mains.
- Annie chérie, tu es amoureuse. Et tu es embarrassée parce que tu ne sais pas quoi me répondre, rigola-t-elle. Tout comme lorsque tu vois Julian. J'étais pareille à l'époque où j'ai rencontré ton père. Tu veux m'en parler ?
- C'était une lettre anonyme. Et si vous pouviez ne pas en parler à Père... Ni de la lettre, ni de Julian.
Elle sourit tout en me répondant qu'elle ne ferais rien contre ma volonté et que si j'avais besoin de conseils, elle était ma mère et que je pouvais tout lui demander.
Les Bertrance s'étaient entendus sur un dîner avec le fiancé, en ville, le lendemain, pour discuter de tout cela.

Après une semaine et demie passée au château à aller pêcher, nager, se balader et rencontrer Tristan, mon oncle et ma tante repartirent pour Nîmes.
Pour ce qui était de la petite Tatjana, elle resta au couvent une semaine, afin d'avoir enfin sa version. L'une des nonnes accompagnée du traducteur partirent pour la Croatie en calèche, la ramenant ainsi chez elle tranquillement. Je lui avais acheté deux belles robes pour le voyage et une paire de chaussures, ce qui lui permettrait de se rendre présentable pour ses parents.
Elle raconta à monsieur Quonteau avoir joué à cache-cache avec des amis, jusqu'à tard, dans les rues de son village. Un homme l'avait surprise dans un recoin et l'avait faite embarqué, avec d'autres filles bien plus jeunes qu'elle, dans les cales du navire. Un trafic d'enfant. Père décida d'envoyer une missive au gouvernement Croate, tout comme à la Grèce, d'où provenait le bateau. Il demanda aux marins et dockers de cesser toute activité avec les navires arrivant s'il ne pouvaient être fouillés avant.

Pour l'amour de ma GénovieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant