Bon, comme vous le savez, ma nuit n'a pas été des plus reposantes. Satanée literie ! Je l'ai en partie consacrée à votre érudition. Prions les dieux que vous en retiendrez ne serait-ce qu'un dixième, ce qui – ne nous en cachons pas – constituerait déjà une brillante victoire. Mais passons, une nouvelle journée commence et il est temps de partir à l'aventure !
Avant toute chose, il va falloir réveiller mon compagnon. Gageons qu'il ne m'ait pas déjà oublié, ce qui serait toutefois guère surprenant. Je sais, pour vous aussi, pareille suggestion paraît fantaisiste. M'oublier, moi ? Un tel vecteur de beauté et d'élégance, une plume sans nulle pareille et le sauveur d'Orquécide en personne. Mais c'est qu'il était bien attaqué notre bel ami et je crains que l'alcool ait eu raison de ses souvenirs. Ce qui semblait être le but, par ailleurs...
À quoi bon s'alarmer, nous verrons bien. Et puis, ce n'est pas comme si je n'étais pas habitué à répéter les choses, hein ! Je sors donc de ma chambre, équipé de mon baluchon à moitié vide. Cela vous étonne ? Je vous l'ai pourtant dit, je ne possède plus ni terre, ni bourse. Telle l'idée brillante, la mélodieuse note de musique, je vogue désormais de lieux en lieux, sans trouver ancrage, ni conserver le sou davantage. Bref, je dispose du plus important, une poignée d'oripeaux, un carnet, une plume, quelques fioles d'encre et, par-dessus tout, le talent. C'est à ce dernier que je dois d'être ici, d'avoir rencontré Aector et de vous amener à l'aube d'une fabuleuse épopée. Et pourtant, comme votre cervelet, c'est le moins lourd à porter...
Je le cherche donc d'abord dans une des piaules de cet insalubre taudis. Néanmoins, il s'avère qu'il n'en occupe aucune. Peut-être ai-je surestimé sa fortune, après tout ? Maintenant que j'y pense, il m'a lui-même indiqué hier être incapable de commander une autre bière. Mes pas me conduisent donc dehors. Parmi les bourriques qui en souillent le sol, il ne s'en trouve cependant aucun qui ait sa prestance. Que des paysans, bûcherons et autres alcooliques de profession. En somme, des gens comme vous...
Partant en quête de cet héritier déchu, je commence déjà à sentir le doux parfum de l'aventure me chatouiller les narines. Il a une odeur puissante, entêtante. Fermant les yeux, je me concentre uniquement dessus et tente, en m'approchant, d'en extraire les essences. C'est, à mon nez, un mélange subtilement dosé d'eau et de terre, auquel s'ajoutent des effluves rances d'un breuvage nain et celles plus actuelles d'un élevage porcin. En bref, me voilà dans la porcherie, où je retrouve Aector.
Allongé dans la boue et cerné de cochons, il dort bruyamment, inconscient qu'une nouvelle douche l'attend. C'est alors avec un plaisir sadique que j'empoigne le récipient le plus proche, par chance déjà rempli, et que je lui déverse dessus. Réveillé dans la douleur d'une eau glaciale, sa réaction est immédiate, impulsive. Dans un ballet de coups, il tente d'atteindre votre inestimable serviteur, mais ne réussit qu'à se ridiculiser un peu plus. Avouez que vous auriez aimé qu'il en soit autrement, qu'il me laisse un hématome disgrâcieux pour pouvoir vous esclaffer de moi. Quels ingrâts lecteurs vous faites !
– Qu'esssst-ce qui s'passssse ? demande-t-il au bout du compte, après avoir échoué sa vendetta.
– Eh bien, nous partons, dis-je simplement.
– Nous ? On s'connaît ? Putain, j'suis trempé !Il est lucide au moins, c'est un bon point ! Qu'il ne me resitue pas, en revanche, laisse quelque peu à désirer. Je n'ai pas envie de tout lui réexpliquer. Mais ai-je vraiment le choix ? Ce que vous me fatiguez, tous autant que vous êtes...
– Moi, c'est Aëmys, le plus connu des bardes d'Orqué...
– Argh, pas ce...
– Je me vois contraint de vous retracer notre conversation d'hier, alors ne m'interrompez pas ! elevè-je la voix, avant d'enchaîner : Donc, le plus connu des bardes d'Orquécide. Je suis venu vers vous hier pour vous proposer de récupérer votre trône, en échange de quoi vous avez accepté d'incorporer dans notre compagnie toutes les races que nous croiserons sur notre route. Voilà, maintenant, je suis là pour vous faire tenir cette promesse.
– Ah oui, j'ai accepté ça ? J'étais bourré hier, non ?
– Pas qu'un peu, oui !
– Alors, c'est caduque, j'étais pas lucide... Bon vent l'ami et à vos chansons !Il se paie ma tête, ce n'est pas possible autrement ! Je n'ai pas fait tout ce chemin pour un tel camouflet, je vous l'assure.
– Vous allez donc rester ici, à boire et reboire ? Votre nom ne sera attaché qu'aux pichets que vous aurez su empiler et votre couche ne sera jamais mieux qu'une immonde porcherie. Jamais plus vous n'effleurerez une poitrine de femme, pas même celle de la gentille Olva, qui se dénude pourtant à la moindre piécette. Elle ne voudra pas d'un souilleux comme vous, disgrâcieux et malpoli. Vous finirez par copuler avec ces cochons qui vous servent de colocataires, pour ne pas vous oublier le matin. Et un beau jour, on vous retrouvera pendu, parce que vous aurez pris conscience de la bêtise que vous avez faite en me repoussant de la sorte. Alors, non, ce n'est pas vous qui me congédiez, mais moi qui m'en vais, pour ne plus avoir à souffrir votre hypocrisie.
Sur ce, je tourne les talons et le laisse à son mal-être. Après tout, je ne suis pas là pour faire l'aumône et vous ne pourrez me tenir rigueur de n'avoir point essayé.
– Attends le ménestrel ! entendè-je finalement derrière moi. T'sais quoi, j'ai changé d'avis. Tu m'as l'air d'un bon bougre et ton p'tit laïus m'a remis les idées en place. Je ne veux pas crever ici, tel un d'ces loqueteux, une bouteille à la main. J'ai toujours mon épée et j'me suis juré de claquer en la brandissant.
– Vous avez conservé la Lame du Nord ? dis-je avec enthousiasme.
– Oui et après une p'tite toilette, elle sera comme neuve. Moi aussi, d'ailleurs. Il m'faut un bon bain, après quoi je serai ton homme.
– J'imagine que vous n'avez pas de quoi le financer, soupirè-je.
– Eh, non.Je sens que ce n'est que le début, mais si c'est le prix à payer pour qu'il se lance dans l'aventure, alors soit ! Je serai bon prince et lui financerai sa bassine. D'autant, il est vrai, qu'il ne sent pas la rose, et ce n'est pas peu dire. Vous ne m'imaginez quand même pas faire la route avec un crasseux ayant baigné dans la boue, si ? Ah, vous concernant, ça ne me choquerait guère, mais j'ai une renommée à honorer, moi ! Un statut qui vous est inconnu, une classe que vous n'atteindrez jamais. À moins que vous ne preniez des notes...
En attendant, oui, je l'ai amené à son bain, pour lequel j'ai dépensé quelques-uns de mes derniers sous. Vous voyez bien que je sais être généreux. Lorsque cela en vaut la chandelle... Le temps qu'il se délasse, je réfléchis déjà à notre itinéraire prochain. La logique voudrait que l'on prenne plein ouest, mais un détour par les terres elfes et naines me semble préférable. Pourquoi, me demanderez-vous certainement ? Est-il impensable que vous ne vous serviez un jour de ce qui vous sert de caboche ? Je n'ai, depuis le début, eu de cesse de vous marteler que je voulais recruter des compagnons de voyage pour notre périple, qui plus est des spécimens exotiques, et ce n'est pas en fonçant tête baissée à la frontière qu'on risque de les croiser !
– Bien, où m'emmènes-tu ? me questionne un Aector enfin lavé et presque rutilant, à la sortie de sa toilette.
– Quel changement !
– Je n'en ai pas gagné plus de patience...
– Au nord-est, sur les terres des oreilles pointues, lui repondè-je sans plus tarder.
– On peut savoir pour quelle raison ?
– Vous constituer une équipe à-même de vous aider à reconquérir votre palais.
– Ah oui, ton idée farfelue... Soit alors, s'il faut passer par là.Je lui souris, mais son visage reste de marbre. Il prend simplement les devants et quitte l'auberge sans un regard en arrière, moi à ses basques. Revenant à sa hauteur, je le vois emprunter le sentier menant aux cités elfes et en profite pour lui demander :
– Qu'est-ce qui vous a décidé ? Ne dîtes rien, la fougue insufflée à mon discours, n'est-ce pas ?
Je laisse filer une minute, le temps qu'il médite à ce sujet, mais il n'en ressort pourtant aucune réplique.
– Quoi ? Vous ne voulez pas me repondre ?
– Tu m'as prié de ne rien dire, rétorque-t-il banalement, sans même m'adresser un regard.
– C'était une façon de parler.
– Ah.
– Et donc ? insisté-je malgré tout.
– Les cochons...Il n'ajoute rien, mais je lis dans son expression un soupçon de malaise, qui me laisse coi. Vivement que nous trouvions d'autres partenaires, sur cette route...

VOUS LISEZ
La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...