Ëlyias

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Eh c'est parti, je m'ennuie ! Quelle entrée en matière, me direz-vous sûrement. Mais c'est aussi tangible que la bêtise vous concernant... Quoi ? Cessez de vous offusquer et remerciez moi plutôt ! Peu sont les privilégiés à pouvoir disposer d'une de mes mélopées sans se délester d'écus par poignées.

Quoi qu'il en soit, nous sommes arrivés chez les elfes. Vous l'ignoriez ?! Mais bon sang, suivez ! Avez-vous seulement pris connaissance de ma chanson ? Je désespère que non... Bref, avançons. Me voilà donc cerné d'oreilles pointues, chez eux, entouré de leurs masures sylvestres. Je dois dire que c'est assez pittoresque et, si je ne leur tenais pas rancune pour leur attitude altière, je pourrais même esquisser un compliment à l'égard de leur habitat.

Resituons les choses, puisqu'il apparaît évident que vous ne connaissez rien à la culture elfique. Je ne vous en tiendrai toutefois pas rigueur, pour une fois. Et non, ce n'est pas mon côté magnanime qui s'exprime, mais uniquement le désintérêt que j'ai pour cette race. Comme je dispose d'un peu de temps, Aector étant parti – seul ! – s'entretenir avec le maître des lieux, je vais tâcher de combler vos lacunes. Mais n'y prenez pas goût, hein ! C'est seulement le désoeuvrement qui parle.

Les elfes donc, cette peuplade arrogante qui ne vit qu'en petits comités, aiment rester à l'écart du monde civilisé. Ça vous étonne ? À croire qu'ils sont meilleurs, mais cela vaut peut-être mieux pour nous... Passons. Ils s'établissent en de chiches communautés, que l'on nomme demeures. Chacune d'elles est dirigée par un soi-disant seigneur, ce que l'ami d'Aector prétend être. Enfin, j'écris ami, mais je crois percevoir chez lui le même dédain qui m'habite pour cette clique.

Respectueux de la nature... Non, je devrais plutôt dire soumis à elle, ils ne vivent que pour la servir. Leur mode de vie est entièrement basé sur cette coexistence, à tel point qu'ils nous vilipendent de nous en accommoder autrement. Leurs constructions s'établissent dans et aux pieds des arbres qu'ils vénèrent, les faisant ressembler, de mon point de vue, à des singes juchés dans leurs cabanes ridicules. Ainsi sont les elfes des bois ou elfes sylvestres, les hauts, et ô combien méprisables, représentants de la conscience végétale. Façonnés pour lui obéir, ils sont généralement grands, élancés, équipés d'une ouïe fine, d'un flair puissant et d'une vue de rapace. De quoi être jaloux, me direz-vous, mais ce que beaucoup ignorent, c'est qu'ils sont aussi assez faibles. Sans doute est-ce dû à leur régime alimentaire appauvri, constitué de plantes et d'insectes. Ah, là, je vous sens tout de suite moins envieux !

Il resterait encore beaucoup de choses à dire à leur sujet, mais c'est sans compter mon envie de vagabonder. Allons bon, vous n'allez pas vous plaindre ! Je vous ai déjà divertis suffisamment, alors permettez moi d'en faire autant, à mon tour.

Déambulant au milieu des feuillus à la recherche d'une attraction, j'en trouve rapidement une dans la contemplation de leurs habitantes. Je n'y peux rien, je m'en excuse, mais il est indéniable que leurs formes ne me laissent nullement indifférent. Aelenor m'en serait témoin, et peut-être encore davantage ses soeurs. Elles ne sont pas bien grosses, mais enflées là où il faut pour aguicher le plus prude des hommes. Sachez d'ailleurs que mes infidélités leur sont exclusivement imputables.

Elles semblent pourtant vouloir éviter ma route, se débinant chaque fois que je m'approche. Privé d'objets d'admiration, je me retrouve par conséquent contraint à l'observation des cabanes qui les recueillent. La plus imposante d'entre elles, notamment, attire mon attention. Ce n'est autre que celle du seigneur Ëlyias, le maître en ces lieux. Enchevêtrée dans les troncs qui la dépassent, elle fait figure de petit palais perdu au cœur de la forêt. Esquissée à partir de branches plus ou moins grandes récoltées ci et là, elle paraît façonnée dans le respect des arts elfiques. Que nenni, faisant le tour, j'aperçois rapidement un coup de canif porté à cette loi pourtant immuable : une porte double taillée au matériau étranger, chose interdite. Le bois ne doit être travaillé qu'à partir des branches juchés sur le sol ou des arbres morts. Une telle méprise témoigne d'une certaine arrogance, car la tradition est sacrée chez ces adorateurs d'écorces.

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant