La Compagnie d'Aector

Mutin, malin

Trois jours ont passé depuis que nous avons récupéré notre illustre bon à rien d'elfe. Quoi ?! J'entends déjà vos voix nasillardes me récrier. Trois jours et pas le moindre écrit, pas le plus petit potin à vous mettre sous la dent. Et pour quoi, hein ? L'avez-vous mérité, vous êtes-vous montré agréable à mon endroit ? C'est aussi plausible que la défaite du Parjure à l'heure actuelle.

Quoi qu'il en soit, il ne s'est rien passé. Le vide total. Un ennui sidéral. À côté, même l'étude de votre cerveau eut été plus passionnante. C'est dire... Nous avons marché vers l'ouest, Aector et Ëlyias en tête, tandis que je suivais lassivement. Cela doit vous paraître infâmant. Du moins, je l'espère, car c'est bien moi le génie de cette affaire. J'ai orchestré toute cette quête, l'ai initiée et me voilà, désormais, mis de côté, affublé de l'horrible étiquette de valet.

Il faut dire, je ne me suis toujours pas remis du coup bas qu'ils m'ont joué. Oui, désolé, mais j'ai une once de fierté, moi ! Je n'ai pas l'habitude de me laisser marcher sur les pieds, sans rien dire. Cela peut vous paraître incongru, étranger, mais je suis un homme de lettre, d'art et de culture. Mon œuvre touche l'âme, elle mérite donc le respect le plus précieux. À vous les coups de fouet et le gibet, à moi la gloire et les deniers.

Mais pour l'instant, je dois me contenter d'une banale souche où poser mon fessier, heureusement réchauffé par l'agréable foyer allumé en vue de notre nuit sous le ciel etoilé. Est-il utile de vous dire que cette expédition prend un tournant fort déplaisant ? Outre son inconfort, lequel m'est tristement coutumier, je dois reconnaître que je la vois évoluer vers le mauvais cadrant. Il était prévu d'arpenter les comptoirs orientaux, à la recherche d'espèces exotiques pour compléter notre commando. Pourtant, j'ai l'impression que nous fonçons tête baissée en direction de la Cité Noire. Là où tout doit se terminer. Vous en conviendrez, j'espère, cela n'a aucun sens !

- Où nous dirigeons-nous ? finis-je par demander.
- En quoi cela t'intéresse, plumier ? me balance Ëlyias avec mépris.
- Premièrement, sachez que je ne suis point un vulgaire nègre ou quelconque scribe. J'écris en connaissance de cause. Si vous souhaitez que je conte vos aventures, prenez conscience qu'il me faudra plus que la trace de vos pas à coucher sur le papier. Ensuite...
- Quelle impudence, tu oublies ta place barde !

Cette fois, ce n'est plus du dédain que je lis dans ses prunelles acides, mais davantage de la colère. Exactement ce que je recherchais. D'autant qu'Aector n'a pas bronché. Vous comprenez ? Evidemment que non, où ai-je la tête ? Soyons clair, Aector est manipulé et cet éphèbe croit pouvoir nous utiliser pour arriver à ses fins. Il s'est toutefois trompé de victimes...

- Et vous donc ! rétorquè-je. Aussi digne que vous êtes, vous n'êtes ici que parce que je le tolère. Un banal invité, voilà ce que vous représentez à mes yeux.
- Aëmys, tu vas trop loin, intervient pour la première fois mon monarque.
- Oh que non, j'ai même trop attendu. Que croyez-vous, tous les deux ? Que je suis votre gratte-papier ? Que je vais vous suivre sans mot dire, alors même que c'est moi qui ai tout initié ?
- Ferme-la, manant ! Je vais te montrer qui commande ici. Et qui obéit !

Le feu de notre bivouac nous sépare, sans quoi il m'aurait déjà sauté dessus. La main gauche sur son couperet, il cherche à le contourner, tandis que je fais exactement l'inverse. J'ai beau être sûr de mon droit, c'est une autre histoire quand il s'agit de le défendre. Et par pitié, ne faîtes pas les étonnés. Votre cervelet à déjà lu, précédemment, que je n'étais pas homme d'épée. C'est uniquement à la plume que je dois mes incroyables succès.

- Que fuis-tu comme ça ? Tu te rebelles, mais tu n'as pas le courage d'assumer tes paroles ? ajoute-t-il, croyant me vexer.
- Evidemment, vous êtes bien plus fort que moi, ça ne fait aucun doute, me dois-je de lui rappeler, ce qui paraît le flatter. Tout comme votre bêtise est manifeste.