Roses

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Même si je passais beaucoup de temps avec mes amis, Valentin était toujours une personne à part, pour moi. On se voyait en dehors des cours, on allait manger des glaces et j'avais rencontré ses parents. C'était des personnes absolument charmantes, qui m'avaient immédiatement acceptée. Et mieux encore, ils n'avaient pas fait de sous-entendus pas appréciable sur le fait que j'étais une fille qui passait beaucoup de temps avec leur fils, que je pouvais être amoureuse de lui ou un truc du genre. Je les avais remerciés mille fois dans ma tête, parce que de ce point de vue là, ils étaient franchement différents de mes parents.

Lorsque nous sommes entrés en year 10 j'ai eu l'excellente idée de me faire colorer les cheveux. Je savais que ma cousine venait d'avoir son diplôme de coiffeuse et qu'elle accepterait de le réaliser dans le dos de ma mère. Vu la couleur que je souhaitais, je devinais immédiatement qu'elle n'allait pas être d'accord. J'avais économisé pendant des mois mon petit argent de poche, j'avais même travaillé pendant les vacances à livrer des journaux un peu clandestinement, pour gagner un peu de sous en plus. Et avec mon porte-monnaie tout rempli, j'étais allée chez la coiffeuse, accompagnée de Valentin, qui trouvait ça trop cool. Premièrement, je voulais une coupe au niveau des épaules, parce que je ne supportais plus mes longs cheveux qui ne faisaient que s'emmêler. Et deuxièmement, je voulais une couleur rose, qui ressemblait à celle des roses que l'on pouvait trouver chez le meilleur fleuriste de Belfast. J'avais la chance, si je peux dire, d'être née blonde, ce qui avait facilité la tache de ma cousine. Valentin l'avait observée faire les mélanges avec des yeux brillants. Il m'avait avoué, pendant que la couleur posait sur mes cheveux, que ça lui faisait penser à ce que son père faisait lorsqu'il s'installait dans son atelier, au fond de leur maison. Que ma cousine était une peintre de cheveux. Lorsqu'elle était revenue pour me rincer et m'appliquer un baume spécial, elle avait rit à la comparaison, en ébouriffant les cheveux de mon meilleur ami. Lorsque j'avais payé, ma toute nouvelle couleur sur les cheveux, elle m'avait glissé que lorsque je voudrais la refaire, je n'avais qu'à me rendre dans un magasin de coiffeur, où la coloration était nettement moins chère. Elle m'avait glissé l'adresse sur un bout de papier, loin des yeux de sa patronne. Le blond qui m'accompagnait avait alors décrété qu'il viendrait avec moi et qu'il m'aiderait. Et cette vérité est toujours d'actualité, bien des années après.

Le problème avec le fait de passer beaucoup de temps avec Valentin, c'est que, contrairement à moi, il est tombé amoureux de moi. Je l'ai vu comme le nez au milieu de la figure, quand nous sommes rentré en dernière année de collège. Il me regardait avec un air tout à fait différent, il voulait systématiquement s'assoir avec moi, et cherchait, très légèrement, le contact, que ce soit par les mains ou les genoux qui se cognaient sous la table, au self. Moi, j'avais pris peur, parce que je ne voulais pas blesser mon meilleur ami. J'avais donc fait ce que ma mère m'avait conseillé et encouragé à faire. J'avais invité ma seule amie fille, Kat, à dormir à la maison. Nous nous étions gavé de bonbons, en cachette bien entendu, et nous étions arrivé au sujet de toute bonne soirée pyjama de fille de quatorze ans : les garçons.

— Dis-moi Daisy, y a quelqu'un qui te plait dans la classe, ou même dans le collège ?

Elle voulait me tirer les vers du nez. Nous n'étions qu'en décembre, alors, je ne connaissais pas encore les joies de l'amour. J'avais donc répondu par la négative, avant de lui renvoyer sa question vicieuse.

— Bah, tu sais, je trouve qu'Harold est vachement mignon... et puis, je ne sais pas, j'adore particulièrement passer du temps avec lui. On se comprend vachement bien, parce que nos parents sont divorcés tous les deux. Mais maintenant que je pense ça, j'ai toujours peur de faire quelque chose de travers, ou de rougir comme une pivoine. Un peu comme Valentin lorsqu'il est à côté de toi.

Elle avait mis les deux pieds dans le plat, le temps de reporter l'attention sur moi. Elle était fourbe, cette fille aux cheveux relevés en chignons — mais ça lui donnait un air magnifique. Elle avait plantés ses deux pupilles brunes bridées dans les miennes, d'une couleur bien plus fade.

— Je me doutais que tu allais en parler.

— Il faut que tu fasses quelque chose Daisy. Parce que si tu continues à faire comme si de rien n'était, il va avoir le coeur brisé, et toi aussi, parce que tu vas perdre l'une des personnes les plus précieuse pour toi.

— Et si je tombais amoureuse de lui ? Je ne sais pas, ça pourrait arriver, non ?

— Tu ne penses pas que ce serait déjà le cas ? Tu passes tout ton temps avec lui. Vous êtes presque des glus.

— Ca, c'est parce que je ne l'ai jamais envisagé comme ça. La semaine prochaine, j'essaye. Ca se trouve, je peux avoir une révélation.

Je n'avais pas eu de révélation. Malgré tous mes efforts dans l'exercice, je n'arrivais pas à envisager Valentin comme autre chose que mon meilleur ami. Mon cerveau est mon coeur refusaient ardemment. Je l'aimais, c'était inéluctable. Mais tout à fait platoniquement.

Et ce qui devait arriver arriva. Pendant notre dernière année de collège, en year 11, le jour même de la Saint Valentin, je lui ai brisé le coeur.  



Year 10 = quatrième 

Year 11 = troisième 

Ciel fleuriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant