Iris

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Sybil et Sheridan s'évaporent comme de l'eau. Je ne vois plus que ce blond en face de moi, qui m'observe sous toutes les coutures, sans pourtant bouger d'un millimètre. Un jour, j'ai lu dans un livre qu'il était toujours intéressant d'écouter le silence. Les héros le font la plupart du temps, surtout lorsqu'ils sont en pleine nature, et qu'ils profitent de sa beauté. Souvent, sur internet, on retrouve des citations sur le pouvoir du silence. Qu'il peut dire des choses que notre bouche ne parvient pas à prononcer. Et c'est justement ce qui est en train de se passer avec Sam. On parle sans rien dire. Et ça fait un mal de chien.

Il s'approche, et je me raccroche un peu à la réalité. Sheridan et Sybil s'en vont, non sans me lancer un dernier regard qui veut tout dire.

Les secondes s'écoulent tout doucement, et c'est une torture. Soudainement, ça me ramène à notre premier rendez-vous. J'étais arrivée en avance, et j'avais l'impression que le temps avait ralenti. C'est exactement pareil ici, comme si l'univers souhaitait me faire payer l'excitation que j'avais ressentie au mois de septembre. Je souffre de ce ralentissement parce que j'ai le sentiment que mon cœur est en train de se tordre dans ma poitrine.

— Pourquoi est-ce que tu pleures ?

Voilà la première phrase qu'il prononce. Je pense qu'il le sait, mais il préfère me laisser le choix. L'honnêteté ou le mensonge. On pourrait croire que je vais choisir la deuxième option, parce que je n'ai plus rien à perdre. Sauf que non. J'en peux plus de m'enfermer dans les faux sourires. La vérité fait mal, mais elle est nécessaire.

— À cause de toi. Enfin, je suis plutôt celle à blâmer dans cette histoire.

Un nouveau pas. Il est dans mon espace, celui dans lequel je ne laisse rentrer que ma mère et Valentin. Et lui, bien entendu.

— Que se passe-t-il ? C'est parce que je n'ai pas passé de temps avec toi ? Je suis désolé, j'essayais de m'intégrer. Si tu veux, nous pouvons aller nous chercher quelque chose à manger.

Il pousse le bouchon, encore et encore. Et moi, je craque. Je lui attrape le bras, et je le fixe. Ses pupilles brunes tremblent. Il a arrêté de jouer.

— Samuel...

Ses mains vont trouver ma blouse, et il me ramène contre lui. Je respire une dernière fois sa délicieuse odeur de lessive et de parfum. Je relève la tête. Lui aussi, il pleure. Lui aussi, il a reniflé mes cheveux. Je suis presque contente. Je ne suis pas la seule à souffrir.

— J'aurais dû te le dire... murmure-t-il.

— Quoi donc ? continué-je sur le même ton.

— Que je ne pouvais pas tomber amoureux de toi. Parce que tu en aimes un autre. J'aurais dû te dire dès le départ que je suis aromantique.

Je fronce les sourcils. Je ne connais pas du tout ce mot. Heureusement pour moi, il éclaire ma lanterne.

— J'ai beaucoup de mal à ressentir des sentiments romantiques. Dans mon cas, il faut que la fille montre un intérêt pour moi. Au début, je pensais vraiment que ça allait se passer avec toi. Je t'apprécie beaucoup, Daisy. Mais j'ai compris. Que tous les regards pleins de vie ne m'étaient pas destinés. C'est pour l'autre garçon. Eliot Tanaka.

Je ravale un sanglot. J'avais raison. Il le savait. Il le savait depuis longtemps.

— J'aurais tout donné pour te le faire oublier. Même à me teindre les cheveux en noir, si ça avait pu t'aider. Mais je voyais bien que c'était inutile. Et lorsque tu m'as dit que tu m'aimais, ça m'a déchiré le cœur. Parce que non seulement tu me mentais, mais tu te faisais souffrir. Sauf que pour moi, ce n'était pas encore le temps de te demander d'être honnête.

— Mais pourquoi ? Pourquoi tu m'as laissé faire ?

Il renifle. Je n'ai jamais croisé de garçon dans cet état-là. C'est tellement étrange de le voir pleurer sans se retenir.

— Parce que je pensais que tu changerais. Que ces sentiments deviendraient vrais. C'est pendant le dernier match de foot de votre équipe que j'ai compris. Quand j'ai remarqué que tu le regardais lui et pas moi. J'avais peur que tu tombes amoureuse de Hardy, comme tu sembles bien t'entendre avec lui. Mais je cherchais mon rival au mauvais endroit.

Il prend une respiration et me resserre plus encore contre lui. Mon cœur bat dans mes tempes.

— Alors je suis devenu méchant. Heather s'est inquiétée que je parle mal de toi à la maison, quand je répondais à tes messages. Et c'est pour ça qu'elle a voulu discuter avec toi, elle ne supporte pas que je souffre. Moi aussi, j'aurais dû être honnête. Parce qu'on pleure tous les deux maintenant.

J'essaie de sourire, mais ça ne marche pas. Il s'écarte de moi et se frotte les yeux. Je lui offre un mouchoir, qu'il accepte avec plaisir. Les passants nous fixent bizarrement, mais je n'en ai rien à faire. On est dans notre bulle.

— Je t'ai acheté un cadeau. Pour que tu ne m'oublies pas trop vite.

— Sam...

Il fouille dans son sac à dos et en ressort une petite pochette en papier. Je la dépose dans ma main, et je l'ouvre avec précaution. Il contient un porte-clés en forme de pâquerette, en résine dure.

— C'est très joli. J'aime beaucoup. Merci.

J'ai l'impression d'être un robot, alors que je pense ce que je dis. On se fixe, les yeux rouges, le visage bouffi et engourdi d'avoir pleuré. Sa main glisse sur ma joue, je me laisse aller dans la caresse. Je sais ce qu'il désire de faire et je suis totalement d'accord. Je monte donc sur la pointe des pieds et l'embrasse une dernière fois. C'est amer, et je me sens encore plus horrible lorsque je me détache de lui.

— Au revoir, petite fleur.


Avant dernier chapitre, la prochaine fois, on clôture cette petite histoire :( 

Ciel fleuriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant