Gypsophile

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On ne dira rien sur le fait que j'ai mis quatre mois à pondre quelque chose 

Le vendredi arrive bien plus vite que je ne me l'étais imaginée. La capitaine nous a convoquées bien plus tôt que prévu, pour nous parler de la liste que nous allons publier en même temps que le début du match. Nous pensons même faire une annonce à la mi-temps, et nous nous sommes arrangées avec une fille gérant l'équipement radio. Ça va être du grand art, même si intérieurement, je pense à Rio. Il ne mérite pas ça, mais je crois qu'il n'est pas encore prêt à laisser tomber sa réputation pour les beaux yeux de la vérité.

Je sais qu'il n'a rien dit à Miho, parce que je l'ai vu ce matin, sur le toit. Nous avons discuté de la liste, et je lui ai avoué que son meilleur ami était tout en bas de celle-ci. Il n'a pas bronché, pour le défendre, pour me dire qu'en réalité, toute cette histoire est fausse. En fait, il paraissait assez sombre, vis-à-vis de cette histoire, et j'ai préféré ne pas continuer sur ce chemin. Je respecte ça, parce que je détesterais qu'il me passe au grill, concernant Samuel.

Celui-ci semble ravi de cette liste, et m'encourage secrètement, pour que les filles ne pensent pas que je fais du favoritisme parce que je sors avec lui. C'est faux, parce que même si je ne suis pas encore amoureuse, je sais que c'est une personne merveilleuse, et qu'il mérite sa deuxième place ex aequo avec Miho. Certaines joueuses ont même voulu rajouter des noms de garçons ne faisant pas partie de l'équipe de foot, mais la capitaine a refusé. Dans les vestiaires, j'ai beaucoup entendu le nom d'Eliot, et même quelquefois le nom de Valentin, qui est très connu. Mais ce qui m'a fait le plus rire, c'est qu'hier soir, j'ai surpris deux filles se battant à leur sujet.

— Mais pourquoi il serait meilleur ? Parce qu'il est plus intelligent ? C'est carrément n'importe quoi.

— Absolument pas. Eliot est parfait : il est beau, il a d'excellentes notes et est très cultivé.

— Sauf qu'il est exécrable ! Il remballe tout le monde, et tu ne te souviens pas l'année dernière, à la Saint-Valentin ? Il a distribué les cadeaux qu'il avait reçus, devant les filles qui lui avaient offert. C'est un goujat, ce mec.

J'avais avalé un rire, parce que l'expression s'y prêtait. Je pensais même que cette personne parlait en connaissance de cause et avait dû être rejetée par le japonais.

— Certes, mais Valentin répond également aux profs, et avec moins de classe qu'Eliot. Et puis, il parle parfois comme un charretier.

Ça, c'était faux. Le blond a sa propre façon de s'exprimer, et j'en suis clairement fan, parce que justement, elle est naturelle.

— Et puis, avait repris la défenseur d'Eliot, Valentin a un accent français. Ce n'est pas classe du tout.

C'était à ce moment que j'étais intervenue. Parce que je ne supportais pas ce genre de critique. Surtout que je sais que mon ami en est très fier, de ses origines françaises. Il n'a jamais essayé de gommer cet accent, tout simplement parce qu'il fait entièrement partie de lui. Et personnellement, je l'envie parce que j'aimerais parler une autre langue aussi bien que lui.

Depuis cette dispute, les deux filles ne s'adressent plus la parole. Ce n'est pas un problème, parce qu'elles jouent à des postes très différents. Mais nous, sur le coup, ça nous avait bien fait rire.

— Bon, allez, c'est parti ! hurle le capitaine pour nous donner du courage.

Nous jouons contre une autre Grammar School, la seconde dans le classement des écoles de Belfast. Je sais que la directrice et toute son équipe professorale nous attendent au tournant. Il faut qu'on leur montre qu'on est les meilleurs.

Nous sortons des vestiaires en frappant des mains et en hurlant, comme d'habitude. Dès que nous sommes à l'extérieur, mes yeux cherchent ceux de Valentin — je ne peux pas m'en empêcher, c'est mon meilleur ami depuis tellement d'années. Il est accompagné de Curtis, ce qui me fait sourire en coin. Les autres sont également là : Harold et Kat hurlent mon surnom en cœur, Sheridan tente de ne pas regarder Sibyl, également présente. Et juste à côté d'eux, la brochette de joueurs de foot de l'école, composée de Samuel, Rio et Miho. Les trois esquissent leurs lèvres d'une manière fort différente, mais plaisante. Franchement pour le blond, discrètement pour le presque roux, et malicieusement pour le croate. C'est marrant, parce que si on m'avait dit au tout début de l'année que j'allais devenir plus ou moins amie avec eux, j'aurais ri pendant des heures.

Je bascule à nouveau mes yeux vers Valentin. Et c'est à ce moment que je les vois. Ces pupilles noires un peu perdues dans l'immensité du stade. Trois places au-dessus de toute le monde est placé Eliot. Il est seul, resserré sur lui-même comme pour empêcher quiconque de l'approcher. Une autre forme, plus grande que lui, s'assied non loin. Les cheveux attachés en un catogan, il lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Sans doute son frère. Ils semblent se disputer, puis l'autre me regarde.

Il me fait un grand sourire, et mon cœur rate un fichu battement. Bon sang de bonsoir, ce n'est clairement pas juste. 

Ciel fleuriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant