Anthémis

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Il y a quelque chose dont j'ai toujours été jalouse, en sport. C'est le compteur, au basket-ball. J'adore aller regarder les matches, surtout féminins — sans doute pour encourager mes camarades sportives. Et à chaque fois que je vois ce compteur où défilent les minutes, et surtout les secondes, je grince des dents. Parce qu'elles, elles peuvent savoir combien de temps il leur reste avant la fin du quart-temps. Moi, mes mi-temps, elles filent sans que je ne comprenne rien, et je bondis à chaque coup de sifflet.

C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. Je sursaute à moitié, et je suis bien contente de ne pas avoir le ballon entre les pieds. Je me retourne immédiatement vers le banc, et les autres me font un clin d'œil. C'est le signal pour les personnes qui commentent le match pour la radio de l'école. Nous, on se faufile vers les vestiaires en sifflotant, fières de nous. Et lorsque la porte claque derrière la dernière fille, nous explosons toutes de rire.

La capitaine glisse un bras sur mon épaule et me rapproche d'elle avec un immense sourire.

— Clarke, je m'excuse de la vulgarité, mais t'es un putain de génie ! Quand on va revenir, on va être des reines, et ils vont tirer une sale tête, tous ces cons qui pensent qu'on est que des objets. Aaaah, ça fait du bien !

Et au moment où elle finit sa réplique, la coach rentre. Elle ne fait aucune remarque pendant le debrief, nous donnant simplement nos instructions pour la seconde mi-temps. Nous avons marqué, mais il ne fait pas nous relâcher. Et lorsque notre temps est achevé et que c'est le moment d'y retourner, elle nous lance, l'air de rien.

— Au fait, les filles.

On la fixe toutes, pendues à ses lèvres. On espère une tactique secrète, qui date de l'époque où elle était à notre place. Ou un dernier encouragement, pour qu'on se démène sur le terrain. Mais non.

— Bien joué.

Et elle retourne dehors, sur le banc, comme si de rien n'était. N'importe qui pourrait interpréter ça comme des félicitations pour le but marqué. Sauf que nous, on sait que c'est pour le coup de la liste. Et on en exulte encore plus.

Je reviens sur le terrain avec une d'énergie renouvelée. Les spectateurs sont en train de remonter sur les gradins, et je surprends quelques conversations. Quelques-unes me donnent le sourire, parce qu'elles viennent de joueurs de l'équipe masculine. Mais ce n'est pas ces voix inconnues qui me font sursauter et m'arrêter. C'est une nuance que je n'ai entendue que de rares fois.

— Dis, petit frère, tu connais certains des noms qui ont été cités ? Ils sont dans ta classe ?

— Je n'en ai strictement aucune idée et pour être entièrement honnête avec toi, je n'en ai rien à faire. Les autres garçons de cette école sont des imbéciles finis, à tous les niveaux. Cela ne me surprend pas qu'ils se soient rabaissés à de telles bassesses. Mais je salue la démarche de ces filles. C'est courageux.

— Personnellement, je trouve ça vraiment classe. Déjà que je suis estomaqué de leur action sur le terrain... T'as vu la vitesse à laquelle la numéro neuf a rattrapé la balle, avant de la relancer à sa coéquipière qui a marqué ?

Je souris de toutes mes dents, et lance, levant la tête vers les marches.

— Merci beaucoup, ça me va droit au cœur !

Les deux jeunes hommes se retournent, surpris, et cherchent d'où provient cette voix. J'avale un rire et avance vers le terrain en étirant les lèvres. Et ce sourire s'agrandit plus encore lorsque je découvre Valentin et Samuel, tout près du banc des remplaçantes.

— Daisy ! commence mon meilleur ami, en courant vers moi.

Il m'enlace fortement, comme une peluche. Je comprends immédiatement qu'il y a quelque chose qui cloche. Son regard brille étrangement. Avec une vitesse incroyable, il glisse dans mes oreilles les explications.

— Je me suis disputé avec Curtis, parce que j'ai osé lui effleurer les doigts quand on est allé se prendre à manger, pendant la mi-temps. Je sais que c'est incroyablement égoïste, mais là, j'ai besoin de ton sourire lumineux de petite fleur.

Je m'écarte légèrement de lui, et pose durement les mains sur ses deux joues. Il ressemble à un hamster, mais il n'y a que comme ça que j'arrive à capter son regard. Parfois, je m'en veux presque de ne pas avoir été plus superficielle et d'avoir accepté de sortir avec lui. Parce que ce garçon est vraiment beau.

— Curtis est un con. Désolée, mais comme tu l'as dit, je suis ta meilleure amie, et en tant que telle, je me dois de te dire ça. T'es trop bien pour lui, il ne voit pas la personne que t'es, et il va finir par te rendre tout ténébreux. Et on ne noircit pas un arc-en-ciel. Donc voilà. Et sache que moi, je t'adore, que tous nos amis aussi, et que tes parents sont super fiers de toi. Et maintenant je vais aller voir mon copain qui doit se demander pourquoi je te tiens comme un sandwich ou un hamster, au choix.

Il hoche la tête silencieusement, et je me détourne de lui. Avant de m'intéresser à Samuel, j'essaie de trouver Curtis dans les gradins, et je lui lance un regard noir, digne de ceux promettant les pires remontrances au monde. Heureusement pour lui, il ne me croise pas le moins du monde. Je pense que sinon, il aurait fini en hachis parmentier.

— Hey, déclaré-je, ayant adopté un sourire bien plus avenant que mes envies de meurtre envers Curtis. Ça va ? Tu ne te sens pas trop mal, pris entre les deux arrogants de services ?

Il étire les lèvres en riant, et croise les bras sur son torse.

— Non, pas vraiment. Sans doute parce que ma géniale petite amie est elle-même attaquante. Ou que je sais qu'elle est amie avec eux, et qu'ils ne doivent pas être si horribles que ça, sinon tu ne leur adresserais pas la parole.

— Exactement. Il faut apprendre à les connaitre avant de les juger. Je pense très clairement que leur arrogance n'est qu'une façade, parce que leur popularité fait qu'ils doivent répondre à certains critères. Enfin, ce n'est qu'une analyse de comptoir, mais tu vois ce que je veux dire ?

— Oui. Par contre, Hardy faisait une sale tête quand la liste est sortie. Il ne doit pas être fier de lui, mais c'est bien fait. Je me serais bien marré avec Andrews, mais lui aussi, il tirait la tronche. Alors, lorsque Valentin m'a proposé de venir t'attendre avec lui, j'ai sauté sur l'occasion. Il y avait une sale ambiance là-haut.

Je grimace, et cela n'échappe pas à Samuel. Mais, poli comme il est, il ne me demande pas ce que je sais. De toute manière, je ne suis pas une traitre, et les secrets des deux garçons ne me concernent en rien. Je les connais, c'est tout.

— En tout cas, je voulais te dire que tu es géniale et impressionnante. J'avais des étoiles dans les yeux en te regardant jouer.

Égoïstement et intérieurement, j'attends le je t'aime. Ce serait beau, juste avant la reprise. Mais non, il m'embrasse la joue et s'en retourne vers les gradins. Quelques filles de l'équipe sifflent en se moquant de moi, et me disent de venir. Je fixe une dernière fois, et, dans toute mon horreur, je dévie vers le haut du stade. Eliot et son — je suppose — frère me regardent. Le deuxième m'envoie des pouces en l'air, pour m'encourager. Alors, je fais de même, et je me moque du fait qu'on me voit.

Je suis libre, que je sache. 

Ciel fleuriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant