Bleuet

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Lorsqu'on se retrouve enfin en groupe, je ne pense qu'à Valentin. Je dis rapidement bonjour, je présente Sam et je l'abandonne littéralement à son sort. Je sais que ce n'est pas sympa du tout, à la limite de l'égoïsme, mais j'en ai besoin. Et au vu de la tête qu'il m'offre, lui aussi. Pour moi, mon meilleur ami est un véritable livre ouvert. Et ça ne m'étonnerait pas qu'il ressente ce genre d'impression pour moi. Personne ne peut comprendre ça, et si je me fais reprendre, je suis capable de mordre. Valentin est une variable invariable de ma vie, et il faut faire avec.

Nos pas s'accordent directement et on se place derrière le groupe, qui se met en marche vers la ville. Samuel est parti en grande discussion avec Kat et Harold, ça m'arrange. Quant à Curtis, il est tout devant avec Coby. Tout va bien, nous sommes tranquilles.

— Alors, qu'est-ce qui se passe ? commence-t-il, me présentant son bras pour que j'y glisse le mien.

Je lève les yeux au ciel et les larmes viennent tout de suite. Comme si je les gardais en moi depuis que j'ai entendu les mots de Sam. Les vannes s'ouvrent et je laisse tout couler, sous le regard inquiet de mon meilleur ami.

— J'ai dit à Samuel que j'étais amoureuse de lui, mais ce n'est pas vrai. C'est juste que j'avais besoin d'une excuse pour m'échapper et pour qu'il ne m'embête pas avec ça. J'osais pas trop le dire parce que tu as tes propres problèmes sentimentaux.

Je renifle, et Sheridan se retourne, sans doute inquiet. Ses iris bruns alternent entre Valentin et moi, et le blond hoche la tête, comme pour lui faire comprendre silencieusement qu'il s'en occupe. Je pense qu'après Vava, en termes de garçon, c'est avec Sheridan que je m'entends le mieux.

— Et aujourd'hui, j'ai vu qu'il le savait. Que je passe mon temps à lui mentir. Il m'a dit, en me regardant droit dans les yeux, que l'amour, ça craignait. Maintenant, il faut que j'aie le courage de tout lui avouer.

J'essuie délicatement ma peau, parce que je n'ai pas envie que tout le monde remarque que j'ai pleuré. Je ne souhaite pas m'expliquer et rendre cette sortie gênante — du moins, plus qu'elle ne l'est déjà.

— Pourquoi tu ne tentes pas le truc avec Eliot ? déclare soudainement Valentin. Pour être fixée une fois pour toutes. Tu lui demandes s'il pourrait être intéressé par toi, et tu vois sa réponse. Ensuite, tu agis en conséquence.

Je baisse la tête. J'ai honte, parce que la solution proposée par mon meilleur ami est la bonne. Il y a juste un immense problème.

— Je n'ose pas. J'ai peur de me faire remballer. Ce mec est un peu intouchable. Les rares fois où je l'ai croisé dans les escaliers ou dans les couloirs, il lançait des regards noirs à qui avait l'audace de se plonger dans ses yeux. J'ai l'impression que mis à part le ciel, rien ne l'intéresse.

— Alors laisse tomber, petite fleur. Il est en train de te broyer le cœur pour rien du tout. Crois-moi, ça ne sert à rien.

Je fronce d'abord les sourcils, tentant de comprendre à qui il fait référence. Et puis, ça me saute à la gorge. C'est moi. La personne qui lui a broyé le cœur, c'est moi.

— Comment t'as fait pour m'oublier, Valentin ? Pour me sortir de ton cœur ?

— J'ai arrêté de te mettre sur un piédestal. Je pense sincèrement que j'étais amoureux de l'idée que je me faisais d'être ton copain. Pas vraiment de toi. Alors, j'ai dessiné plein de croix rouges dans ma tête et je me suis remémoré les bons moments qu'on a passés entre amis. Et dans un sens, je crois que c'est le même genre de sentiments que tu entretiens pour Eliot.

J'écarquille les yeux. Ça fait mal, même si une petite voix me répète que c'est la vérité.

— Parce qu'il est, je cite, incroyablement beau, et tout un tas d'autres trucs, tu le regardes avec des lunettes qui le rendent parfait, à tous les points de vue. Même son antipathie te plaît, parce que ça lui donne un côté mystérieux. Je peux comprendre, vraiment. Mais ce ne sont que des idées, pas la réalité.

Il s'arrête et fixe la route devant nous. Je l'entends soupirer et il reprend.

— Tu les vois ces deux-là ?

Il désigne Sybil et Sheridan de la tête.

— Eux, ce qu'ils vivent, c'est la réalité. C'est pas un amour de piédestal. Et c'est ça qui leur fout les jetons. C'est ça qui a fait que pendant de nombreuses semaines, Kat et Harold ne se sont pas adressé la parole. Je ne dis pas qu'il faut forcément avoir peur des sentiments qu'on ressent. Mais ça devrait nous transporter comme ça, je pense. Et pas uniquement dans nos têtes, dans la réalité aussi.

Et là, je comprends. Lui aussi, il est face à un amour de piédestal. Il était prêt à tomber amoureux de l'idée qu'il se faisait de Curtis. Sauf que ce n'est pas la réalité. Et toute cette image est en train de se détruire dans son cerveau. C'est pour ça qu'il souffre autant.

— Je suis désolée, Valentin.

Je lui embrasse la joue et je me serre plus contre lui. Une larme dégouline dans mes cheveux, et ses beaux yeux bleus se brouillent de toute la tristesse qu'il ressent.

— Ça ne fait rien. Ce n'est pas de ta faute. C'est comme ça. L'amour, c'est pas fait pour moi. Je dois avoir un problème.

— Je suis certaine que non.

J'efface l'eau sur son visage et je lui embrasse la joue en même temps.

— Rappelle-toi que tu es mon arc-en-ciel préféré !

Il me sourit à travers les pleurs et je sais que j'ai gagné. 

Ciel fleuriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant