CHAPITRE 1: Upside down

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EMMA

C'est le chaos. La France n'est plus ; ou du moins, elle ne porte plus les valeurs qu'elle affichait fièrement sur toutes ses institutions et bâtiments publics. La liberté, l'égalité et la fraternité ne sont plus. Maintenant, c'est chacun pour soi et surtout, puisse le sort vous être favorable.

Les Hommes auraient dû se souvenir de l'Histoire, ils auraient dû être attentifs. J'en veux au gouvernement d'avoir forcé les français à revivre 1789. Les conséquences sont catastrophiques, aussi bien pour le peuple qui n'a plus de quoi vivre, que pour les « hauts pensants » qui ont terminé, pour la plupart, la tête sur un pique après avoir été guillotinés.

J'admets que j'apprécie l'effort qui a été fait ; la Révolution de 2020 est en tout point semblable à celle de 1789 : les mêmes causes, la même réponse des dirigeants, les mêmes actions du peuple (à quelques choses près) et donc, la même finalité.

Seulement, alors qu'au 18esiècle le peuple gagnait petit à petit en confort et style de vie, au 21esiècle, la Révolution fait place au chaos.

Lorsque le pays est devenu instable et de ce fait ingérable, le gouvernement a flippé. Ils ont déserté ; enfin, ils ont essayé. Le Collectif, c'est-à-dire la quasi-totalité du peuple français, s'est occupé d'eux, et ils ont fini la tête sur un pique.

Désormais, nous avons un problème majeur : comment survivre ? Oui, parce que le ramassis de corrompus a été éliminé mais personne n'avait réellement réfléchi au « après ». Qui va gouverner? Comment ? Avec quels moyens ?

Toutes ces questions sont pour l'instant sans réponses, et tant que nous n'aurons pas trouvé de solution, nous continuerons de vivre sans électricité, sans eau potable, sans transports, sans rien en fait.

Lorsque j'observe, du haut de la colline, les restes de ce qu'était auparavant ma ville natale, je ne vois que des bâtiments effondrés, brulés, des voitures en travers de la route et la plupart du temps sur le toit, je n'ai qu'une expression qui me vient en tête : Upside down.

Face à cette vision d'horreur, je préfère rentrer chez moi.

Autrefois, j'adorais cette maison. C'est une ancienne bâtisse en pierres dorées ; elle est spacieuse et lumineuse, elle se situe en bordure de forêt, au milieu de plusieurs hectares de prairies. J'adorais le sol en carrelage gris, les escaliers en pierre qui permettent de monter jusqu'au troisième étage, les imposantes poutres en bois qui recouvrent le plafond et les somptueuses portes en chêne qui se trouvent à l'entrée de chaque pièce.

Maintenant, j'ai peur. J'ai peur du silence qui réside dans la maison toute entière, j'ai peur des volets qui claquent lorsqu'il y a du vent, j'ai peur de la solitude.

J'ai toujours aimé être à part, mais ma famille me manque. Mon père est parti parmi le Collectif lors de la Révolution et ma mère a disparu il y a bien longtemps. Je ne pense pas que je serais capable de la reconnaître si par malheur je me retrouvais face à elle.

Parfois, dans le silence assourdissant, j'entends des échos de discussions, j'entends aussi les roucoulements des pigeons qui vivent dans le grenier.

Mais je délire ; il n'y a personne à des kilomètres à la ronde et les oiseaux ont disparus il y a plusieurs mois de cela. Alors pour éviter de sombrer dans la folie et la paranoïa, je parle à Spicy, mon cactus. Heureusement qu'il n'y a personne pour m'entendre, j'ai surement l'air d'une folle.

Depuis la Révolution, ma routine quotidienne a été bouleversée : je ne vais plus à l'université, je ne sors plus avec des amis, je ne fais plus de sport. En fait, il est devenu trop dangereux de s'aventurer à l'extérieur, même pour un court instant.

À la solitude s'ajoute donc l'ennui ; les journées sont extrêmement longues quand on ne croise aucun autre être humain. Si l'espèce humaine a survécu jusqu'à présent, c'est parce que nous sommes une espèce grégaire ; nous nous regroupons pour assouvir notre besoin de contact humain. C'est comme cela que fonctionne l'humanité depuis la nuit des temps, en groupe. Mais je ne vais pas essayer d'en trouver un, même si je sais qu'il y en a.

En fait, je m'applique à les éviter le plus possible lorsque je suis dans l'obligation de sortir ; ces groupes sont comme des mini sociétés : il y a une hiérarchie à respecter, des taches à faire pour la communauté, des règles à suivre et surtout, une violence entre individus presque banalisée. Ces groupes me font peur et je sais que si je me fais repérer par l'un d'eux, je serais dans l'obligation d'intégrer leur communauté. Sinon, je devrais défier leur chef, et ce n'est pas une jeune adulte de mon gabarit qui va pouvoir lutter.

Je ne sais plus quoi faire pour passer le temps. J'ai déambulé des centaines de fois dans toute la maison, explorant la cave et le grenier, j'ai lu les quelques bouquins posés sur les étagères de la bibliothèque et je me suis arrêtée sur le livre de Voltaire, Candide ; je dois avouer que la situation, presque ironique, m'a fait rire : lire un livre sur l'optimisme et l'utopie lorsque tout mon monde s'est effondré...

Mais dans ma solitude, je suis désormais accompagnée d'une nouvelle amie qui est déterminée à rester avec moi : la faim. La dernière fois que des vraies courses ont été faites remonte à plusieurs semaines. Je me nourris donc des quelques bocaux de légumes et conserves qu'il reste que je fais chauffer à l'aide du matériel de randonnée qui fonctionne au gaz. Seulement, je ne vais pas pouvoir continuer comme cela pendant longtemps ; il va falloir que je sorte à l'extérieur en quête de quelque chose, n'importe quoi, à me mettre sous la dent. Je sortirai demain matin avant l'aube pour passer incognito. Comme je vais devoir me lever tôt, je décide d'aller préparer mes affaires.

Je descends ainsi au garage pour aller chercher le nécessaire pour la randonnée qui m'attend. Je trouve un sac d'une contenance d'environ 40L, ça sera largement suffisant. Je cherche ensuite mes chaussures de montagnes. Après 10 minutes à fouiller dans les placards dans le noir, je me dis que mes chaussures de trek feront largement l'affaire. J'ai la chance de connaître ma maison sur le bout des doigts. C'est pour cette raison que, même dans le noir, je parviens à trouver tout ce dont je pourrai avoir besoin demain : des cordes, un couteau, une carte routière de la région et des gourdes. Je ne peux pas en prendre d'avantage, je dois pouvoir réussir à porter mon sac et être capable de courir vite si jamais je dois fuir.

Je me retourne une dernière fois tout en faisant une liste mentale des affaires que je dois absolument prendre. C'est alors que je regarde la voiture noire garée dans le garage : plus personne n'utilise sa voiture, l'essence est devenue trop chère et totalement inaccessible pour la plupart des gens. Ça serait tellement plus rapide de pouvoir l'utiliser plutôt que de devoir marcher sur des dizaines de kilomètres... mais ça serait du suicide, je serais à la vue de tous à la seconde où la BMW sort de ce garage.

Je sais qu'il me reste un plein de carburant mais je parviens à résister à l'envie d'aller chercher les clés lorsque je me souviens de ce que disait mon père :

- « Emma, tu ne dois utiliser la voiture que si tu dois t'échapper rapidement. Nous faisons partie des quelques personnes qui ont encore la possibilité de nous en servir, il ne faut pas que ça se sache. »

En honneur à mon père que je ne reverrai probablement jamais, j'ouvre les tiroirs de la commode qui se trouve sur ma droite. J'en sors un grand drap que je dépose sur la voiture afin de la protéger de la poussière.

- « Te voilà protégée. J'espère que tu seras toujours là quand je reviendrai, j'aurais peut-être besoin de toi plus tard. » dis-je à haute voix

Je fais alors demi-tour, il est temps que j'aille dormir.

Alors que ça ne faisait que quelques heures que je m'étais assoupie sur mon lit au deuxième étage, je suis brusquement réveillée par les coups de pieds de quelqu'un qui essaye de s'introduire dans la maison.

How I survived: Partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant