Chapitre Un

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Le brouhaha ne cessait de s'intensifier et une odeur infecte se dégageait des murs. Gris. Tout était gris. Le ciel, qui avait surplombé Aleth jusqu'à son arrivée au sous-sol du métro parisien. Les murs, épais et poisseux, qui lui donnaient l'amère impression d'être enfermée dans une cage de plus en plus étroite. Et les âmes. Les âmes étaient grises. Terriblement grises. La jeune femme avait l'impression de ne croiser que des regards vides, de n'entendre que des mots dénués de sens. Elle n'avait jamais eu l'occasion de voyager et espérait chaque jour que seuls les parisiens dégageaient un tel taux de morosité.

Aleth se fraya un passage parmi ces corps fades et atteignit enfin la rame de son métro. Elle paniqua quelques instants lorsque celui-ci démarra et lui fit perdre l'équilibre. Mais sa main gauche trouva appui sur le dossier d'un siège, et la droite s'était instinctivement réfugiée dans son sac à main. Au creux de sa paume, elle sentait sa figurine porte-bonheur. Son coeur se calma instantanément alors qu'elle resserrait ses doigts autour du petit éléphant fait d'ambre. Les yeux fermés, elle tenta d'occulter les sensations parasites pour ne se concentrer que sur les reliefs de l'objet. Elle avait presque l'impression de pouvoir sentir la peau rugueuse de l'animal.

Cela faisait des années qu'elle avait piqué cette figurine à sa grand-mère, qui jadis passa sa vie à voyager avant de revenir se reposer dans son appartement du 13ème arrondissement à Paris. Celui- ci était particulièrement petit, et les souvenirs rapportés de ses aventures occupaient tout l'espace. Pourtant, Aleth s'y rendait toujours pour se ressourcer, comme si chaque objet lui permettait d'humer l'air pur de contrées inconnues et attrayantes. Ainsi, ce petit éléphant ambré avait attiré son attention lorsque, plus jeune, elle avait passé une journée entière à fouiller minutieusement l'appartement à la recherche des objets étrangers les plus loufoques et interessants. Mais parmi les tambours colorés, les bijoux mystérieux et les papyrus indéchiffrables, il avait fallu que ce soit pour ce petit objet discret que la petite fille qu'elle était à l'époque soit profondément attirée. Et depuis, il ne l'avait plus jamais quittée. Et sa grand-mère n'avait pas hésité à le lui céder. De sa voix douce et sage, elle avait déclaré d'un ton énigmatique qu'elle avait toujours su que cette figurine lui reviendrait.

Aleth resta ainsi, les yeux fermés et l'éléphant au creux de sa paume, jusqu'à ce que son arrêt soit annoncé. Elle joua des coudes pour se frayer un chemin parmi cette foule dense et compacte, en ignorant le mal de crâne qui s'accentuait à chaque bouffée d'air. La ligne 2 la déposait à l'arrêt Jean Jaurès, et le métro était toujours particulièrement bondé en fin d'après-midi. Les gens se pressaient de sortir, sans laisser le temps aux nouveaux arrivants de rejoindre la rame, et les insultes et protestations se mêlaient aux plaintes des personnes âgées qui peinaient à monter au milieu de tout ce désordre. Aleth attendit quelques instants que les derniers passagers soient montés avant de quitter la rame et de rejoindre le quai. Les portes se fermèrent juste derrière elle et une exclamation étouffée parvint à ses oreilles. Distraitement, elle se retourna et croisa le regard irrité d'un jeune homme qui n'avait visiblement pas réussi à atteindre les portes à temps.

La brune se sentit soudainement défaillir alors que son regard suivait le métro en train de repartir. Le souffle coupé, elle garda jusqu'au dernier moment les yeux plongés dans ceux du garçon. Finalement, elle reprit ses esprits alors que ses maux de tête revenaient, plus insistants que jamais. Le cerveau en ébullition, elle resta stoïque quelques minutes, à plonger au coeur de sa mémoire. Elle était persuadée de l'avoir déjà rencontré.

Un regard jeté à sa montre l'informa du fait que ses amis devaient déjà être arrivés au bar dans lequel ils s'étaient donnés rendez-vous, et la jeune femme s'empressa de quitter les sous-terrains pour rejoindre la rue. Plongée dans ses pensées, elle continuait à songer à ce jeune-homme aux traits familiers. Pourtant, il lui était impossible de se rappeler du contexte de leur première rencontre. Ou peut-être était-ce ce regard, impatient et courroucé, qui lui rappelait vaguement l'expression de l'un de ses amis ? Aleth se laissa distraire par quelques pigeons qui se hâtaient de s'écarter à son passage. Elle l'avait sans nul doute croisé au détour d'un boulevard, ou connaissait quelqu'un aux traits semblables.

Sur nos tracesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant