Un coup d'œil à ma montre m'apprit que j'étais en retard. Je déposai un post-it sur la table de nuit à côté du lit où dormait ma mère et me penchais pour l'embrasser quand mon téléphone vibra dans ma poche. Je jurai en découvrant un sms de Sarah m'annonçant que nous sortirions ce soir. Ce n'était pas une question. Et pour couronner le tout, avec Jay Arslan.
Je me renfrognai et enfilai ma veste en vitesse, fermant la porte derrière moi. Je n'avais vraiment pas la tête à ça.
Arrivée au lycée, j'eus le soulagement d'apprendre que le premier cours de la journée était annulé, faute de professeur. On n'avait toujours pas trouvé de remplaçant à Monsieur Steinfield. Je m'assis sagement à une table tranquille, dans un coin, et sortis la pomme que j'avais mise de côté dans mon sac. Je n'avais pas eu le temps de prendre de petit déjeuner en partant. Je croquais une première grande bouchée dans le fruit quand Sarah me rejoignit en sautillant d'impatience. « Gwyn, tu te rends compte ? Jay nous invite à passer la soirée avec lui après les cours ?!, s'écria-t-elle. » S'impatientant face à mon mutisme, elle ajouta, encore plus hystérique : « Dans un bar ! ». Je hochai faiblement la tête, concentrée sur le bout de pomme coincé entre mes dents. « Enfin, disons plutôt qu'il t'invite, mais qu'il a dit que je pouvais venir aussi, si ça me tentait. Alors évidemment j'ai dit oui ! » s'enflamma-t-elle tandis que je désespérais de pouvoir un jour la changer. « Tu lui as tapé dans l'œil, je crois », confia-t-elle tranquillement. De mon côté, je manquai de m'étouffer et me sauvai de l'asphyxie en toussant bruyamment. Je prenais une grande inspiration quand une main me tapota amicalement le dos. Je n'eus pas à me retourner pour reconnaître Jay : « Tout va bien, Gwyn, tu ne mourras pas aujourd'hui ». Je le sentis se déplacer légèrement sur ma droite, puis il tira une chaise et s'assit à quelques millimètres seulement de moi. Il était si près que je pouvais sentir son parfum inonder mes narines. Bien que cela ne me coûtât, je devais avouer qu'il sentait bon. « Comment vont tes crochetages de serrures ? » demanda-t-il en se penchant vers moi. Je rougis jusqu'aux oreilles, le maudissant intérieurement. Sarah ne sembla pas relever, trop absorbée par sa contemplation de Jay. Je lançai un regard noir pleins de sous-entendus à ce dernier. Il sourit de toutes ses dents : « On se rejoint à la sortie, les filles ? ». Je levai les yeux au ciel tandis que Sarah lui assurait que nous serions au rendez-vous. Sa voix était devenue si aigue que j'en avais mal à la tête.
Après le départ de Jay, Sarah n'arrêta plus de parler. Je fis mine de suivre son monologue en l'agrémentant de quelques hochements de tête, mais finis par m'endormir sur le cadavre de mon trognon de pomme. Quand je me réveillai, Sarah me secouait vigoureusement en me pressant d'aller à notre cours. La salle était vide, tous les élèves étaient déjà partis. Je me frottai les yeux et passai une main sur mon visage. Ma joue était collante. Je lançai un regard de travers à ce qu'il restait de ma pomme. Mon amie s'impatientant, je rassemblai mes livres dans mes bras et la suivis à petites foulées vers la salle de classe.
En cours de méthodologie, nous apprimes entre autres que Monsieur Steinfield serait finalement remplacé, et ce dès demain. Je ne prêtai pas beaucoup attention au cours, trop occupée à finir ma nuit. Quand la fin de journée arriva enfin, je n'avais plus qu'une envie : rentrer m'allonger dans mon lit et dormir jusqu'à la fin des temps.
Cependant, rien n'aurait su faire changer d'avis Sarah, et elle insista pour que l'on reste « au moins un peu » en compagnie de Jay ce soir-là. J'acceptai à contre-cœur, sentant que la convaincre de ne pas y aller prendrait tout autant de temps que d'y passer rapidement. Et puis après tout, ce serait certainement moins pénible.
Voilà donc comment je me retrouvai en sandwich entre ma meilleure amie, Jay et son amie James. Il me fallait dire que j'avais été surprise de la gentillesse de cette dernière. Elle semblait être d'une grande douceur et écoutait toujours son interlocuteur avec intérêt. Sous son chapeau se dissimulaient de grands yeux bruns hypnotisants. James avait cette façon de fixer les gens quand elle leur parlait, qui vous rendait incapable de regarder ailleurs. J'appréciais énormément la soirée, mais une vibration détourna mon attention de James : mon téléphone n'aurait bientôt plus de batterie. Il était temps que je rentre. Je relevai la tête et me raclai la gorge dans le but de capter l'attention de la tablée, mais je réalisai que j'avais déjà celle de Jay et son amie: « C'était super de passer du temps avec vous, mais il faut vraiment que nous y allions » dis-je. Sous les protestations indignées de Sarah, James acquiesça, compréhensive. J'aimais décidément beaucoup cette fille.
Jay, quant à lui, hocha la tête mais insista pour que je goûte la spécialité de la maison avant de partir. Il connaissait le gérant, ils étaient très amis. Après m'avoir assuré que la boisson ne contenait pas d'alcool, j'acceptai d'en boire quelques gorgées. Son arôme sucré me surpris, mais j'y pris goût rapidement et en bus plus que prévu. C'était comme si je ne pouvais plus m'arrêter. Cependant, j'insistai pour partir, bien que Sarah ne soit pas du même avis, et nous primes le chemin du retour.
Le trottoir était trop étroit pour nous quatre, aussi Jay et Sarah marchaient en tête tandis que James et moi les suivions de près.
« - Tu as un chien ? me demanda alors James.
- Non, j'en ai horriblement peur. Et puis je n'aurais pas le temps de m'en occuper si j'en avais un, de toute façon. »
James hocha la tête en silence. Elle semblait pensive.
« - Et toi, tu as un chien ? demandai-je, curieuse.
-Non. »
Elle n'ajouta rien, fixant l'horizon, inexpressive. Je marchai en silence à ses côtés, m'inquiétant pendant un instant d'avoir fait un faux-pas. « Disons que sauf pour de rares exceptions, eux et moi ne sommes pas faits pour nous entendre », expliqua-t-elle dans un sourire plein de tendresse. « Nous y sommes ! » annonça Jay devant nous. Je levai les yeux sur ma maison, à quelques pas de là. Nous étions arrivés. Je saluai mes amis et regagnai mon perron tandis qu'ils s'éloignaient dans la rue, raccompagnant Sarah chez elle. Je levai les yeux vers le ciel : la lune serait bientôt pleine. Je pris une inspiration et ouvris la porte.
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Ayeur
FantasyOn dit souvent que la Lune est une femme. Ce n'est pas exacte. Laissez-moi vous raconter son histoire.