Chapitre 5

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-J'ai adoré partager mon déjeuner avec vous, mademoiselle Jefferson, dit-il en me regardant dans les yeux.
Il avait les yeux noir, d'un noir perçant. Le genre de regard qui nous racontait des histoires, qui brillait de malice et parfois de fourberie. Ça en devenait fascinant.
-Moi aussi, répondis-je en détournant le regard.
Chacun était devant la porte de son bureau à présent. Je craignais ce genre de moments. C'est dans ces moments-ci qu'on ne savait plus quoi faire. Quand dire au revoir et quand couper la discussion. On avait toujours peur de couper l'autre dans sa réplique ou de l'empêcher de nous dire quelque chose. Par malheur, étant Asperger, j'avais tendance à ne pas savoir quand parler et j'avais, du moins auparavant, tendance à couper les autres. C'est aussi pour cela que je ne parlais pas en groupe. Une bouche qui parle c'est déjà compliqué à suivre alors imaginez ce que ça donnerait si je me mettais à me synchroniser avec trois bouches.
Sauver par le gang, Stewart me sourit et entra dans son bureau.
Ce moment de gêne n'aurait duré que quelques secondes. Tant mieux.
Quelques minutes plus tard, de mon bureau, j'entendis des cris.
Ça provenait du bureau d'Alexander. Le mur était fin comme du papier.
Quelques bribes de la conversation furent plutôt intéressantes. Comme « Je m'en fous il fallait y accrocher une brique bordel! » et « il faut lire du stephen king bon sang! ».
Je n'en entendis pas assez pour savoir de quoi il parlait, ou avec qui. En absence d'une deuxième voix, je conclu qu'il était sans doute au téléphone. Je décidai d'aller le voir quand la discussion fut interrompue. J'ouvris doucement la porte. La voix de Stewart derrière me stoppa:
-Mlle Jefferson, toquez putain!
Le vouvoiement suivi du « putain » ne collait pas vraiment.
-Excusez moi, mais je ne vais pas me prononcer une énième fois sur ce sujet. Puis-je entrer? Demandai-je hésitante.
Il soupira, je pris ça comme un signe d'acquiescement invisible.
Il était debout à côté du bureau, une main posée sur son front comme si il avait mal à la tête.
-Laissez moi deviner, vous avez tout entendu? Commença-t-il.
Je pus deviner une once d'agacement dans ses yeux.
-Et bien, assez pour savoir que vous avez besoin de compagnie mais pas suffisamment pour savoir de quoi il s'agissait.
-Tant mieux. Dit-il soulagé.
Il s'assit sur sa chaise derrière son bureau et il remonta les manches de son sweat-shirt.
Vous pensiez sûrement que, puisqu'il était conseillé en comptabilité, il porterait un costume, une cravate, ainsi qu'une chemise. Mais Alexander avait plutôt le style d'un lycéen. Toujours en sweat-shirt, jean et baskets. Le contraste de son travail avec son look était plutôt amusant. La formalité n'était pas son fort à ce qu'il parait.
Je pris place sur une chaise devant lui, mis un coude sur son bureau et posai ma tête sur la même main qui était à présent sur la table en bois.
Je n'avais absolument rien à dire, alors je ne faisais que de le regarder. Plus je plongeais mes yeux dans les siens, plus il se sentait mal à l'aise. Il commençait à bouger sur sa chaise, à changer constamment de position et à faire tourner sa montre trois fois chaque, environ, deux minutes et demi.
Joli toc.
- Allez-vous arrêter de me dévisager Maélice?
J'y repondis négativement, et poursuivie mon analyse.
-Vous me trouvez beau alors? Dit-il avec un sourire sur les lèvres.
Mais qui posait ce genre de questions?
Il avait terriblement confiance en lui, ça crevait les yeux. Ma réponse ne lui ferait ni chaud ni froid.
- En me basant sur les critères de beauté que veut la société, je dirais oui.
- Et en vous basant sur vos critères? Ça donnerait quoi? Dit-il en croisant ses bras sur le bureau et en avançant légèrement son visage vers le mien.
- Ma réponse ne compterait pas.
Il haussa les sourcils, l'air de dire « Pas faux », puis croisa ses jambes sur le bureau, et prit un cahier ainsi qu'un stylo.
- Vous devriez aller travailler, nous avons énormément de dossiers cette semaine. Fit-il sans lever les yeux de son cahier.
- J'ai... terminé ma première pile.
Je fis un temps d'arrêt, je ne voulais pas qu'il me prenne pour la première de la classe.
- Moi aussi, j'en suis à ma deuxième.
Échec et mat.
Pour être ébranlée, ça, je l'étais.
Comment faisait-il pour trouver du temps? Je le voyais constamment devant la machine à café entrain de fleurter avec une des employées de l'entreprise.
Ce n'est pas un conseiller en comptabilité qui avait commencé deux ou trois ans auparant qui allait être plus rapide que moi. Je me levai, déterminée pour avoir deux piles de faites de plus que lui. En sortant du bureau, je percutai Dean, le comptable converti en pile électrique à qui j'avais corrigé une faute il y a deux jours.
Il ne manquait plus que lui.

Fine, thanks.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant