Son discours achevé, la foule compacte présente au Mondavi Center s'agglutinait autour de Stuart Cohen pour le féliciter. Une ambiance délétère régnait pendant le cocktail, un sentiment de légèreté faisait naître sourires et rires sur bien des visages. Dès qu'il put prendre congé de ses hôtes, le professeur s'éclipsa pour entrer chez lui. Bien que le moyen de transport favori des habitants de la ville de Davis soit le vélo, il délaissait de temps à autre sa bicyclette pour se rendre d'un point A vers un point B en marchant. La chaleur estivale écrasante tombait en fin de journée et permettait de circuler sans tremper sa chemise.
Il marcha le long d'Arboteum Drive. Il affectionnait particulièrement ce paisible endroit, où quantités de plantes bordaient la rivière émettant un glougloutement apaisant. Puis il bifurqua sur la Old Davis Road, remonta l'A Street jusqu'au Russell Boulevard. Alors qu'il s'apprêtait à tourner à gauche, en direction de Sycamore Lane, il entendit un craquement de feuilles. Il se retourna et vit à une vingtaine de mètres une ombre à proximité d'un arbre. Il prit la direction de 5th Street, puis tourna sur B Street. Tandis qu'il longeait le Civic Center Park, il regarda derrière lui. Dans la rue déserte, une silhouette lui emboîtait le pas à distance raisonnable. Le cœur du professeur bâtit plus fort. Accélérant aussi vite que ses jambes le lui permettaient, il prit 6 th Street, puis C Street qu'il remonta à vive allure, ne prêtant pas attention aux animations du Farmer Market dont il connaissait tous les producteurs, ni aux groupes d'étudiants allongés nonchalamment dans l'herbe accueillante du Central Park Garden. Arrivé à l'angle de C Street et de 3 rd Street, il s'engouffra à l'intérieur du « Burger & Brew ».
Attablé près de la rambarde de la chaleureuse terrasse du restaurant, il scruta les alentours. Hormis la foule animée du jeudi soir, il ne remarqua rien de particulier. Mais tandis qu'il achevait son thé glacé, serrait des poignées de main et s'apprêtait à partir, il regarda vers le restaurant « Crepeville ». Sur le trottoir, une silhouette immobile semblait l'épier attentivement. Stuart Cohen saisit son portable et composa le numéro de la police. À cet instant, son appareil s'éteignit dans sa main, comme si la batterie s'était vidée instantanément. Il entendit piailler autour de lui. D'autres clients du restaurant pestaient contre leurs téléphones soudainement hors d'usage.
Il se leva et regarda en direction de cette silhouette s'approchant du Burger & Brew et l'observant toujours fixement. Les phares d'une voiture éclairèrent le visage de l'inconnu et Stuart Cohen crut voir une cicatrice sur son menton. Soudainement, toutes les lumières de la ville s'éteignirent. Davis était plongée dans une obscurité profonde, que seuls les phares des voitures interrompaient. Puis à leur tour, les voitures calèrent en pleine chaussée et leurs lumières s'éteignirent. Des cris de panique commençaient à fuser dans la pénombre de cette nuit d'encre.
Stuart Cohen détala le long de 3 rd Street en direction de L Street, puis courut vers 5 Street, afin de se réfugier au Davis Police Department. Rouge écarlate après cette folle course, son cœur battait à tout rompre et son corps baignait dans sa sueur. Il découvrit alors un spectacle apocalyptique. Un puissant incendie s'élevait du commissariat. Des voitures de police éventrées répandaient de l'huile et de l'essence, embrasant le sol d'un rideau de flammes continu. Des corps de policiers sans vie jonchaient trottoirs et chaussée. Apercevant une bicyclette abandonnée par terre, Stuart Cohen l'enfourcha et pédala à vive allure. Les rues défilèrent. Zaragoza Street, Q Street, La Coruna Street, Prado Lane, puis le Mace Ranch Park, où il se terra à l'abri des arbres.
Qui était cet homme ? De nature cartésienne, Stuart Cohen ne pouvait cependant se départir de l'idée que cet individu inquiétant et les étranges événements survenus au cours de l'heure écoulée étaient liés. Il attendit dans l'ombre. Au loin, poussées par un vent particulièrement intense, les flammes du commissariat se propageaient. Sans véhicules d'intervention souffrant du même mal mystérieux que les autres véhicules de la ville, les pompiers restaient impuissants. L'incendie gagna le Mace Ranch Park, dont le vent faisait danser la cime des arbres désormais incandescents. Des branches flambantes tombèrent non loin de Stuart Cohen, qui dut se résoudre à sortir de sa cachette. Il marcha à terrain découvert en direction de Loyola Drive. Saisi d'une intuition mêlée d'angoisse, il tourna la tête vers les arbres enflammés du Mace Ranch Park. Sortant du bois, l'homme balafré apparut, le visage éclairé par les flammes. Stuart Cohen comprit à cet instant que rien ni personne ne le sauverait. Alors il s'agenouilla, passa rapidement ses mains derrière son dos afin de ne pas être vu par son assaillant, et détacha de son poignet le bracelet aux couleurs de Cuba. Il creusa furtivement la terre et l'y enfouit. Puis il se releva. À quelques mètres, immobile, l'homme balafré l'observait.
— Pourquoi ? demanda-t-il.
— Vous le savez parfaitement, professeur.
L'inconnu pointa son index endirection de Stuart Cohen. La poitrine de ce dernier explosa, comme si uneballe invisible l'avait transpercée. Il s'écroula sur l'herbe. Le tueur fitrapidement les poches de sa victime et s'éloigna dans l'obscurité. Un puissantorage éclata, suivi d'une pluie battante qui éteignit l'incendie.
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Planète (tome 1)
ParanormalDans un futur proche, où pollution, "uberisation" et religion paupérisent l'humanité. Après un long sommeil, Merlin l'Enchanteur apparaît sur un pylône du Golden Gate Bridge. Toujours en Californie, à Davis, Stuart Cohen, éminent professeur, est f...