D-Day

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C'était un homme, assez grand, environ 40 ans, les cheveux poivre et sel et une barbe de trois jours. Il avait des cernes qui, telles des sacs tombant aux épaules, trahissaient un sommeil aux abonnés absents ces derniers jours. Le profil type d'un homme anxieux que l'on découvre quelque chose qui ne devrait pas se savoir.

Mais je n'eus pas le temps de m'appesantir sur le sujet car, d'un coup d'un seul, tous les regards se tournèrent vers moi. Il était temps de m'embarquer, direction ma nouvelle vie.

Ils avaient réquisitionné un camion, seulement il n'était pas prévu que je n'ai jamais embarqué. Encore moins que celui-ci ne soit pas pratique. Il n'y avait pas de porte à l'avant, le baflanc était bloqué et aucune corde ne pouvait contenir le cheval le temps de relever le pont, pont qui grinçait d'un son fort et suraiguë, le pire cas de figure. Mais ce n'est pas ça qui m'empêcha de monter dedans, ni la couverture qu'ils me passèrent, encore moins l'ensemble de protections (membres, nuque, queue et même mousses de licol). C'était cet homme, qui était là, juste à la réception de la longe, de l'autre côté de la cloison, qui le terrorisait au point de m'empêcher de monter.

Ils essayèrent d'abord comme avec un cheval habitué. S'il fallut un petit temps d'adaptation aux bruits de mes pieds qui résonnaient sur les planches, je montais dedans en moins de cinq minutes. Mais je le vis et sursautais sous l'effet de la surprise. Je me pris la tête dans le toit du camion et ressorti. C'est à ce moment qu'il me devient impossible de poser une seule patte dans le camion. Même si je le voulais vraiment, tout ce qu'il y avait d'instins en moi, du plus primaire au plus complexe, me dictait de ne pas le faire.

Il leur fallut plus de deux heures pour me faire poser à nouveau les pieds sur le pont grimaçant du camion, deux heures au bout des quelles l'homme (dont j'appris qu'il s'appelait Jules) parti et me permit par son absence de monter. Son départ fut d'ailleurs extrêmement mouvementé. Mes nouveaux propriétaires ne l'avaient pas vus avant et, quand il passa devant eux, le reconnurent et commencèrent à hurler et à l'insulter de tous les noms. Hannah était déchaînée et mon Jules sur le point de le frapper. Je n'ai pas tout compris, mais je pense en tout cas que même au près de ses semblables il n'inspire pas confiance. La police l'obligea à partir et l'ordre revient.

Le trajet en camion se passa plutôt bien. Au début j'étais vraiment déboussolée mais après je trouvais ça plutôt rigolo. J'ai joué avec mon foin, défait mon nœud d'attache, regardé les paysages défiler. Je comprends que certains chevaux soient stressés mais, dans mon cas, rien ne pouvait être pire que ce que j'avais vécu, donc je prenais ça avec une certaine décontraction.

Au moment de débarquer, j'eus peur de ce que je pouvais trouver et j'aurai d'ailleurs préféré rester dans le camion. Mais j'étais restée tellement détendue que Hannah et Jules prirent ça pour un manque de respect (chose qui, pour ne pas mentir, était vraie) et sortirent le balai. Je n'eus donc pas le choix et je sortie.

Le domaine où l'on m'avait conduite était magnifique. Une belle cour, entourée d'une vingtaine de boxes séparés par un mur de bois d'à peu près un mètre vingt surmonté de grilles. Les cloisons étaient amovibles de façon à pouvoir faire des boxes de plus grande taille et dans lesquels il était possible de mettre plusieurs chevaux. Derrière, une longue rangée de paddocks (correspondants au nombre de boxes et, encore une fois, avec des clôtures amovibles de façon à pouvoir séparer ou rassembler les chevaux) où l'herbe était abondante et parcourue de trèfles, marguerittes et boutons d'or. Entourant le domaine, une piste entièrement sablé permettait de faire galoper les chevaux montés et desservait les infrastructures comme le manège, les carrières (dressage et obstacle, sable et herbe), les hangars à matériels, fourrages et nourriture, le terrain de cross et le marcheur. On m'apprit plus tard que, si j'avais pu voir l'entrée, j'aurai pu lire un panneau annonçant le haras O'Connor/Fontaine, élevage de chevaux de sport portant l'affixe O'CF (du nom des propriétaires).

À ma grande surprise, on ne me mit pas au boxe tout de suite. On ne m'isola pas non plus à l'autre bout de la structure. Le vétérinaire n'avait imposé aucune contrindication à être sorti en groupe et c'est donc tout naturellement que mes nouveaux propriétaires me mirent au pré avec une très vieille ponette welsh nommée Snoopy.

Là, à ce moment précis, dans ce cadre splendide, entourée de personnes aimantes et d'une sympathique camarade, j'eus le pressentiment qu'une nouvelle vie s'offrait à moi, une vie où mes souffrances disparaîtraient et s'expliqueraient, ne laissant chez moi que la douloureuse cicatrice des êtres qui m'étaient chers et que j'ai perdus.

Miss O'ConnorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant