Toucher les étoiles pour mieux tomber...

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Je suis entrée en piste sous un silence de plomb. Tous connaissaient la jument, aucun ne connaissaient la cavalière. La cloche sonne, nous nous arrêtons et reculons un peu pour se remettre dans un bon équilibre.

La suite se passe comme dans un brouillard. Les obstacles s'enchaîne et les abords ne sont que réflexes. Tout s'enchaîne, tout coule, aucune barre ne tombe. La jument s'arque avec facilité au dessus des morceaux de bois.

Sans fautes dans le temps, on sort 7°. Premier tour, premier classement, premier tour d'honneur. C'était juste magique!

Le lendemain, sur la 125, rien ne put nous arrêter. Le barrage fut un moment intense, nous tournions court, prenant toutes les options, réduisant le nombre de foulées au strict minimum. Valrose ne galopait pas, elle volait.

Nous sommes réparties victorieuse de la carrière, personne ne fut capable de nous rattraper. Pour la deuxième fois du week end, nous courrions le tour d'honneur.

Lundi matin, le dernier jour, nous sommes allés faire un tour sur la plage avec Jules. Nous sommes partis du pôle par la route, à 7:00. Puis nous avons parcourus la voie le long des hippodromes avant de traverser les avenues et d'arriver sur la plage. Nous étions là, seuls, tous les deux, les pieds dans l'eau. Le soleil se levait à peine et, pour un court instant, nous étions seuls possesseurs de cette vaste étendue qu'était la mer. De tous les souvenirs que je m'étais fait avec la merveilleuse jument, celui là était de loin le plus beau.

Le temps passa. Nous continuâmes les concours. Nous sortîmes gagnantes un bon nombre de fois. La jument rapportait assez d'argent pour que les Fontaines ne se pressent pas de la vendre. Ils declinèrent même une proposition à 80000 euros.

Un an et demi après notre première fois, nous avons gagné notre première 140 cm. Là encore, elle était exceptionnelle. Tout le monde la désirait, tout le monde nous connaissait. J'avais passé mon bac et abandonné tout autre possibilité de poursuite dans le supérieur, tout ce que je voulais c'était continuer de faire cette chose que j'aimais tant: monter à cheval.

Le jour de mes 19 ans, alors que je montais pour les Fontaines depuis un peu plus de 2 ans, un gros orage éclata. Nous étions en plein hiver, les chevaux était encore au paddock. Il pleuvait si fort que nous avons été obligés de courir les chercher. Ils étaient tous trempés et Valorise venait d'être tondue.

Il a plu toute la semaine. Une pluie froide, qui emplissait l'air d'une humidité qui vous mordait les os et s'accrochait à vos vêtements. Un vent glacial parcourait les terres et il était impossible de monter en carrière tant elle était trempée.

Après une telle pluie, les dégâts étaient considérables. Les coulées de boue avaient emporté la carrière, certains boxes étaient englués dans un mètre de glaise et le manège c'était effondré. Même si Valrose gagnait de l'argent, seule sa vente pouvait permettre d'espérer réparer tout ça.

Nous nous baladions d'écurie en écurie pour faire travailler la jument et la présenter à de multiples acheteurs potentiels. Généralement, nous partions tôt, Jules et moi, afin de ne pas gêner les propriétaires des haras alentours. Seulement, il arrivait de plus en plus souvent que je parte seule. Jules faisait ce qu'il pouvait pour aider sa famille, à tel point que nous nous éloignons de plus en plus lui et moi. Les seuls moments où nous pouvions nous voir étaient les repas, mais les journées étaient si épuisantes que nous allions nous coucher à 20:00, tombant comme des masses. Les parents Fontaines n'étaient plus ce qu'ils étaient et leur santé commençait à décliner. Progressivement, ils n'en vinrent qu'à assurer les cours, Jules et moi nous occupions du reste. Nous vécurent plusieurs semaines avec une dizaine de chevaux chacun à travailler tous les jours, sans carrière ni manège, et une trentaine à nourrir, sortir et entretenir. Sans oublier l'élevage, les clôtures, les boxes, les soins vétérinaires et tout le reste. Le haras de Bellefontaine perdait de sa splendeur et nous avions beau nous acharner à sortir la tête de l'eau, notre seule bouée de sauvetage était Valrose. Mais la plupart des gens connaissaient la situation du haras et ne voulaient pas mettre de prix correcte, prétextant que la vendre maintenant pourrait nous permettre de sauver le navire. Nous le savions. Mais il était impossible que cela se passe comme ça, il fallait qu'elle soit vendu à un bon prix et pas comme un vulgaire chiffon.

Le 2 juillet de l'année de nos 20 ans (à Jules et moi), Éric nous appela pour nous annoncer une nouvelle des plus terribles.

"Les enfants, nous savons tous combien vous avez travaillé pour le haras. Vous faîtes tous ce que vous pouvez mais, je le vois bien, vous êtes entrain de vous détruire à la tâche. Alors, même si cette décision est la plus dure que je n'ai jamais prise, je dois vous le dire: j'ai accepté la vente du haras et de tous les chevaux."

Miss O'ConnorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant