Miss O'Connor

Début ou fin ?

L'arme n'arrêta pas sa course avant d'avoir atteint le front de Jules O'Connor. Le contact froid du canon sur sa tempe ne le fit pas bouger d'un geste, il fit par contre tressaillir les deux amants. La jument, sentant la peur monter dans son dos, ancra encore plus ses pieds dans le sol. Le silence était assourdissant, même les oiseaux n'osaient plus voler. Les murmures de Jules raisonnèrent dans l'air jusqu'aux oreilles ds deux âmes terrifiées. A mesure qu'il parlait, sa voix prenait de l'ampleur.

"Je n'ai jamais voulu faire de mal à personne. La mort de ces chevaux est un malentendu découlant de la mort de la famille Fontaine. Je ne sais pas qui les a tués. Mais cette personne a tué aussi les chevaux. Je n'étais pas là. Comme il faisait froid et que des voleurs de chevaux avaient déjà volé plusieurs bêtes, ils ont fermé et cadenassé les volets pour la nuit. Sauf qu'ils ne se sont jamais réveillés. Si vous n'étiez pas intervenu, Miss serait morte et, avec elle, tous mes espoirs. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait en espérant qu'un jour je serai pardonné. Pardonné pour tous les coups que j'ai porté, pardonné pour toutes les injures que j'ai dites, pardonné pour toutes les larmes que j'ai causées, pardonné pour avoir été pire qu'un rat d'égouts. 

Si Miss porte ce nom, c'est en souvenir des seules personnes qui ne m'ai jamais rendues heureux, ma femme et ma fille, Cassandre et Hannah, mes deux miss. Si son affixe est O'Connor, c'est pour rappeler que nous avons été un moment une famille unie. Je suis heureux qu'elle ait pu vous revenir, au moins je sais qu'elle sera entre de bonnes mains.

Jules, je voudrais d'abord te remercier de l'attention que tu portes à ma fille. Maintenant je sais qu'elle sera entre de bonnes mains. Je voudrais aussi te dire combien je suis triste pour tes parents. Ils étaient des gens bons. Ils ont été si bons avec moi que je leur en serai redevable à vie. Et même si je ne suis plus là, saches que quelqu'un est déjà à la poursuite de leur assassin. Cette personne vous enverra chacune de ses découvertes au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête, et cela jusqu'à ce qu'un nom soit approuvé. Si vous ne vouliez pas recevoir plus d'information, il vous suffira de renvoyer un papier marqué "STOP". C'est le moins que je puisse faire pour eux.

Hannah. Ma tendre Hannah. Douce Hannah. Jamais je n'ai voulu te faire de mal. Ni à toi, ni à ta mère. J'ai racheté Bellefontaine pour toi, mais il était encore trop tôt. Je n'ai jamais levé la main sur un cheval, mais j'ai vu des employés le faire. Certains ont même profité de mon ignorance pour laisser les chevaux dans des conditions semblables à un abandon tout en leur faisant faire des choses peu adaptées à leur âge. Je les ai tous licenciés. Je me rends compte maintenant que jamais je ne pourrais réparer tous les torts que j'ai causé. J'aurai beau enchaîner les bonnes actions, rien ne pourra jamais rééquilibrer la balance. Enfin, si. Une seule. Je viens ici pour mettre fin à ma vie devant la fille à qui j'ai donné la sienne.

Je vous ai tous aimés. Tous. Je n'ai seulement pas réussi à vous le montrer réellement. Peut-être que je n'étais pas fait pour ce monde? Dans tous les cas, je suis soulagé d'avoir pu tout expliquer avant l'heure fatidique. Je n'ai plus qu'une chose à vous dire."

Il arma son revolver et le pressa encore plus sur sa tempe.

"Adieu."

Et il appuya sur la gâchette. La balle fusa et perça directement son crâne de part en part. Le sang gicla en même temps que le bruit cinglant de la détonation. Un Jules s'écroula au sol tandis qu'un autre s'élançait pour récupérer une Hannah en larme. Elle avait crié, peut-être, elle ne savait plus. Pour elle, seul le son de l'arme qui fit couler ses larmes étaient là, ricochant dans les tréfonds de son âme. Elle le savait déjà, ce bruit résonnerait pour toujours dans son cerveau. 

Elle se jeta vers le corps inerte de son père. Et elle pleura. Elle pleura toutes les larmes de son corps, criant un "pardon" entre deux sanglots. Jules s'assit à côté d'elle et la pris dans ses bras. Il ne dit rien, se contentant de la maintenir dans ce monde par le biais du fort étau de ses bras.

Miss était là. Elle avait compris. Et, alors que tout n'était que douleur dans le cœur des deux jeunes gens, elle se coucha contre le corps encore chaud de Jules O'Connor, en face de Hannah. Elle passa l'encolure au dessus de la poitrine du cadavre et posa doucement sa tête sur les genoux de la jeune femme. Celle-ci cessa instantanément  de pleurer et ils demeurèrent là, imbriqués les uns avec les autres. Quatre corps pour trois âmes.

Les secondes passèrent, puis les minutes. Il restèrent ainsi quatre heures et trois minutes, période au bout de laquelle les pompiers, la police et les urgences prirent le relais. Hannah ne dit pas un mot. Jules sentit la colère monter en lui. Mais un espoir fou l'envahi encore et encore. Sa famille avait été tuée, leur père de sa femme s'était suicidé après avoir été accusé à tord pour des crimes qu'il n'avait pas commis, des crimes qui n'en étaient même pas. Cet homme avait passé la moitié de sa vie à se faire pardonner de ses agissements dans l'autre. Et il lui avait surtout offert deux cadeaux inestimables: la femme de sa vie et l'assassin de sa famille.

Alors qu'ils allaient s'endormir, Jules prit dans ses mains le visage de Hannah et lui dit: "Tu peux prendre le temps qu'il te faut. Si tu ne dois pas parler alors ne parle pas. Je vais continuer d'espérer, pour toi, pour nous. Et mes parents ne seront pas morts en vains. Et ton père ne sera pas mort en vain. Mais pour ça j'ai besoin que tu te remettes. J'aurai beau le vouloir de tout mon cœur, t'aimer de tout mon être, transpirer l'espoir de toutes mes pores, je ne pourrai pas tout  assumer tout seul longtemps. J'ai besoin que tu te remettes, mais j'ai encore plus besoin de toi Hannah."

Et alors que tout était fini pour Eric, Lana, Héloïse et Jules, une nouvelle page se tourner pour Hannah et Jules. Et cette page s'écrira avec une jument d'un courage prodigieux nommée Miss O'Connor.