Chap 28 : Léane

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Les matinées sont de plus en plus chaudes, l'été arrive plus rapidement que prévu, en raccourcissant les nuits au passage. Les transactions de soirée se déroulent pour certaines en plein jour, alors que le soleil est toujours à une belle hauteur dans le ciel. J'ai repris les missions depuis une semaine, et déjà, je retrouve les habitudes que Lucien m'avait transmises. Un échange rapide, pas de questions, une discrétion à toute épreuve... Je suis devenue une des « doyennes » du groupe. Ce n'est plus Lucien qui dirige les opérations, mais un autre infirmier qui travaillait avec lui et qui a été libéré après le démantèlement du Programme, faute de manque de preuves pouvant l'inculper.

Désormais, nous ne sommes plus qu'une quinzaine à travailler pour lui. Après la chute du Programme, l'infirmier, qui se fait appeler Chris, a réussi à récupérer les dossiers des patients les plus loyaux selon Lucien, son prédécesseur, et a débuté une recherche acharnée pour nous retrouver.

Après m'avoir remis la lettre qui contenait des instructions pour le retrouver, j'ai cherché le sommeil toute la nuit, en vain.

« Si tu es partante, tu devras quitter le lieu où tu habites avec ta famille et vivre avec nous, dans un espace à l'abri, le temps minimal pour que tu gagnes l'argent nécessaire à ton opération. Tu peux donner n'importe quelle excuse mais si tu t'engages avec nous, soit au moins disponible tout l'été. Nous improviserons pour la suite. »

Ces mots m'ont frappée comme une rencontre brutale avec un mur en béton. J'en avais le souffle coupé. Je réalisais pleinement qu'une telle décision m'engageait à quitter ma famille, à mentir, sans aucun doute à commettre des délits, mais voir pire encore, potentiellement des crimes passables de lourdes peines. En effet, la lettre était accompagnée d'un avertissement terriblement angoissant : « Prépare toi, nous ne partons pas en colonie de vacances, et ce que tu feras ne sera pas sans conséquences, agis en connaissance de cause et réfléchis avant de prendre ta décision »

Toute la nuit, rongée par les doutes, j'ai médité sur la proposition d'un homme dont j'ignorais à l'instant le prénom, et qui me demandais de l'accompagner dans un lieu inconnu pour -il avait été clair sur ce point- enfreindre la loi. Je risquais gros. Cependant, à l'aube, lorsque je me suis regardée dans le miroir, avec des cernes qui plongeaient loin sous mes yeux rougis par la fatigue, j'ai repensé au piano dans le salon dont je n'avais pas entendu le son mélodieux depuis si longtemps. J'ai repensé tout simplement au chant du vent que je n'arrivais même plus à m'imaginer, ou juste à la voix ma mère dont je voudrais profiter pleinement. J'ai alors réalisé que je voulais entendre la voix de mon enfant. A ses spectacles de chant de son école, je veux pouvoir chercher sa voix parmi celles des autres élèves, et sourire lorsque je la trouve, puis applaudir à m'en briser les os.

Alors j'ai attrapé une feuille et j'ai commencé à lister minutieusement les affaires que j'allais devoir emporter pour ce « séjour ». Je me suis arrêtée au moment où j'allais écrire, le stylo à quelques millimètres de la feuille. Je ne pars pas en colonie, et je n'allais pas perdre mon temps à agir en gamine. J'ai froissé la feuille et j'ai ouvert mon placard, avec une seule pensée en tête : « Partir ».

Lorsque j'ai rempli la plus petite valise de la maison avec le strict minimum, j'ai envoyé un message au numéro joint dans la lettre : « Je suis partante, vous pouvez compter sur moi. »

Pas plus de trois minutes plus tard, l'infirmier me donnait un lieu de rendez-vous, en m'incitant à être discrète.

« Quand peux-tu nous rejoindre ? m'a-t-il écrit. »

Je me suis mordue la lèvre. J'avais oublié ce détail. Alors j'ai fait ce que je n'aurais jamais pensé devoir faire. Je me suis précipitée dans le salon et j'ai négocié avec mes parents un séjour de plusieurs semaines chez une amie. D'abord surpris, je leur ai déballé un tas de mensonges, les yeux larmoyants, la gorge aussi nouée que le jour de mon accident, alors que j'avais tout perdu pour une bêtise. Ne recommençais-je pas la même erreur ? J'ai rapidement chassé cette idée de mon esprit.

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