9. Alerte (version éditée)

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Après le départ des trois chevaliers, la vie reprit son cours dans la forteresse. Tout aurait pu paraître normal à une personne peu attentive, mais Alinor était très observatrice et elle remarqua que sa sœur et l'héritière normande semblaient différentes depuis le départ des soldats. Aileen était sujette à des accès de mélancolie qu'elle tentait de cacher avec un certain succès à son entourage. Mais Alinor n'était pas dupe et avait une idée assez précise de la raison de la morosité de la jeune fille. Si elle se doutait que l'absence de Thibaud était pour beaucoup dans les tourments de sa cadette, elle s'interrogeait en revanche à propos d'Odeline. La Normande était en proie à des sautes d'humeur aussi inattendues qu'incompréhensibles. À plusieurs reprises, Alinor l'avait surprise, avec une expression perdue sur le visage, les yeux dans le vague. Elle avait remarqué que sa rivale passait de longues heures debout près de la grande croisée du solarium à regarder au loin ou, distraitement, les champs clos où se déroulaient les entraînements. Curieusement, depuis le départ du convoi, Odeline n'avait plus fait montre d'agressivité à son égard. Aucune revendication, aucune parole vindicative, aucune sentence désobligeante à son endroit n'avait franchi les lèvres de la pupille de la reine. C'était comme si subitement, Odeline de Verneuil avait renoncé à ses plans d'avenir avec Gautier. La protégée royale n'avait plus reparlé de la promesse de mariage. Par moment, elle semblait même vouloir s'intégrer à la vie de la forteresse, car petit à petit elle montrait des signes d'intérêt pour les différentes tâches domestiques qui incombaient aux filles du seigneur de Thurston. Son caractère s'était légèrement adouci et elle était moins méprisante avec les Saxons, excepté envers Edwin à qui elle se heurtait régulièrement. Ce changement d'attitude n'était pas sans intriguer Alinor. La jeune femme en arriva à la conclusion qu'il s'était passé quelque chose qui avait bouleversé l'héritière normande. Est-ce qu'Odeline était tombée amoureuse d'Adam de Péronne ou, plus vraisemblablement, de Christian de Laval ? À moins que côtoyer les chevaliers de Guillaume ne lui ait donné le mal du pays ? Ce qui expliquerait son regard perdu, souvent tourné vers le lointain, et son désir de solitude à certains moments.

La situation bascula subitement une dizaine de jours après le départ du convoi. En fin de matinée, Odeline se rendit dans le jardin pour y savourer un moment de tranquillité, mais la promenade ne lui apporta pas la détente escomptée, bien au contraire. À son retour du verger, elle parcourut le donjon dans un état d'extrême agitation à la recherche d'Alinor. Quand Aldys lui apprit qu'Alinor était au solarium, la Normande se rua dans les escaliers. Inquiète du comportement de la damoiselle de Verneuil, la servante s'empressa de rejoindre lady Judith pour l'en informer. Elle la trouva aux cuisines en grande conversation avec Merien, la cuisinière, et dame Adelise.

Pendant ce temps, Odeline avait gravi les trois étages et, une fois arrivée sur le palier, elle se précipita dans la pièce aux larges ouvertures. Alinor s'y trouvait ainsi que Sibylla, à qui elle enseignait le point de Bayeux. La jeune femme avait un tambour à broder sur les genoux et sa petite protégée était collée à elle, la tête presque sur son bras pour suivre les mouvements de l'aiguille qui piquait la toile de lin avec dextérité. Elles furent interrompues par un cri soudain.

— Vous devez l'arrêter !

Alinor redressa brusquement la tête à cette apostrophe.

— Plaît-il ?

— Votre frère ! cria Odeline.

— Que vous arrive-t-il, damoiselle ?

— Votre frère est un traître !

— Mon frère ? Mais...

— Oui-da ! Edwin ! Ce maraud... ce maraud nous trahit !

— Voyons Odeline, jamais Edwin ne nous causerait du tort. Je suis certaine qu'il donnerait sa vie pour nous.

Combat d'Amour - Tome 4 [Editions AdA septembre 2019 - autoédition 2023]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant