• Chapitre 12 •

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Naomi

Les lueurs dorées de l'aube se logent dans mes prunelles à peine ouvertes. Je papillonne des yeux et tente de m'habituer à l'éclairage particulièrement puissant de la pièce. Les rideaux ne sont pas fermés ? Ma bouche est pâteuse et encore humectée d'alcool. Burk...
Je me redresse sur les coudes et remarque qu'une masse ornée de poils citrouille est blottie contre moi. Son miaulement de désapprobation m'arrache un sourire. Eh oui Gribouille, je ne compte pas rester lovée dans les couvertures jusqu'à seize heures de l'après-midi. Je sors du lit et retiens de peu un cri  lorsqu'une douleur aussi grosse qu'une balle de tennis me saisit le crâne. C'est ça de boire un cocktail inconnu au bataillon.
Je pue la sueur, l'alcool et le vomi dans cette minuscule robe noire et pourtant, je suis chez moi. J'ai du mal à me souvenir de ce qu'il s'est passé, il me reste quelques bribes mais rien de concret. C'est frustrant.
Je traîne des pieds et entre dans la salle de bain, manquant de pousser un second cri en voyant ma sale tête. Mon maquillage est étalé sur mes joues, des cernes creusent mes yeux et mes cheveux sont en pétard autour de mon visage. Je fais peur à voir ! Une gothique en crise ou un panda alcoolique, je ne sais pas trop.
J'éjecte le tissu qui moule mon corps et me laisse fondre sous l'eau brûlante de la douche. Je suis dans un état lamentable...La voix grave et profonde d'un homme me traverse encore l'esprit, ce n'était pas Jeff...Mais alors qui ? Qui est venu me porter secours pendant ce terrible épisode ? Pourquoi ?
Après de longues minutes sous la douche, j'enfile un pull bien chaud et sors de chez moi. Jeffrey doit savoir ce qu'il s'est passé et j'ai besoin de réponses. Postée devant l'appartement de mon ami, je frappe trois coups contre la porte. Une minute plus tard, elle s'ouvre sur...Jenna ? Que peut-elle bien faire ici ?
— Naomi ? S'étonne-t-elle, salut...Sa surprise est de courte durée puisqu'elle finit par afficher un léger sourire. Malgré l'ahurissement qui me paralyse, je parviens à m'approcher d'elle afin de la serrer dans mes bras, je suis rassurée de voir qu'elle est debout et entière.
— Je suis tellement désolée...Murmuré-je, le nez dans ses cheveux.
— Ce n'est pas de ta faute Naomi, on ne pouvait pas vraiment savoir que cette nouvelle boisson allait nous saouler aussi rapidement. C'est le cas de le dire...
— Même, j'aurais dû faire plus attention...ce n'est pas dans mes habitudes de finir une soirée dans cet état.
— Ce n'était pas si horrible, ça a quand même bien commencé. Sa petite moue joyeuse me rassure. Bien commencé...
— Où est Jeff ?
— Sur le canapé, il n'a pas voulu me laisser rentrer seule chez moi...Ça ne m'étonne pas de lui, un vrai grand frère.
— Sur son canapé ? Le vieux canapé décrépit de son grand père ? M'exclamé-je, éberluée.
Ouille, je le plains...
Jenna me regarde avec un air confus avant de reculer pour me laisser entrer. En pénétrant à l'intérieur, je remarque que Jeffrey est bel et bien allongé sur son canapé, la bouche ouverte. Il dort comme un bébé...
— Debout là dedans ! Dis-je à son oreille avec entrain.
Il se redresse d'un coup, manquant de me faire une prise de karaté et m'adresse un regard douloureux. Le pauvre n'a pas dû passer une bonne nuit sur cette décharge qui lui sert de canapé.
— Naomi ? Coucou, c'est bien moi ! L'ivrogne de la veille.
Je n'ai pas vraiment le temps de lui répondre qu'il attrape mon poignet et me pousse contre son torse. Waouh...
— Tout va bien ?
— Euh...oui ça va...
Je m'étrangle, subissant la force de ses biceps. Je sais que j'étais sacrément éméchée mais, pas au point de le faire angoissé de la sorte, ça me rend tellement honteuse. Jenna depose sur la table basse, trois tasses de chocolat chaud. Je saute sur l'occasion et en attrape une afin d'y poser les lèvres...C'est tout ce dont j'avais besoin.
— Tu penseras à le remercier lundi. Me dit Jeff en savourant lui aussi son chocolat fumant.
Remercier ? Qui donc ?
— De qui tu parles ? 
— Brown. Lance-t-il avec nonchalance. J'avale de travers le lait chaud, m'étrangle et tousse plusieurs fois. Vient-il de dire Brown ? Du genre, Adan Brown, mon patron !
— Pourquoi devrais-je remercier Adan Brown ? Mes mots fusent à une de ces vitesses, battent celle de la lumière.
— Oh...Tu ne te souviens pas de ça ? De ?
— Mais de quoi, bon sang ?
Jeff fronce les sourcils et dépose à bout de bras, son mug.
— Quand je suis revenu avec les bouteilles d'eau, vous n'étiez plus là. J'ai paniqué comme un fou et puis je t'ai vue dans les bras de Brown, il m'a dit qu'il te ramènerait chez toi. Au début j'étais septique et à deux doigts de t'arracher de ses bras mais quand j'ai vu Jenna, ivre morte sur le sol des toilettes, je l'ai laissé gérer.
Le silence de la pièce m'engloutit dans une bulle de honte. À cet instant, je manque d'air et sûrement de dignité. C'était lui, oh mon dieu c'était lui !
— Pourquoi il était dans cette boîte de nuit ?
Ma voix est faible, je n'arrive toujours pas à y croire...C'était lui...
— J'en sais rien.
— Je vais mourir, c'est sûr...Déclaré-je en malmenant mes cheveux. Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible que ce soit lui !
— Il t'a aidée malgré tout, c'est qu'il n'est pas si méchant que ça ? Ajoute-t-il, haussant les épaules.
— Mais bon sang Jeff, tu ne te rends sérieusement pas compte de la situation ? Je crie, j'ai appelé mon patron en étant saoule. Il m'a vue ivre, couverte de vomi e...et il m'a portée, m'a ramenée chez moi, mon pa-tron Jeff !
Je me déchire les cordes vocales, détachant chaque syllabe pour que mes mots rentrent dans son crâne.
— Calme-toi Naomi...Intervient Jenna. Non !
— Il va certainement être moins dur avec toi à présent ?
— Tu plaisantes ? On parle d'Adan Brown pas d'un chamallow au pays des bisounours.
Je pousse un râle rauque et me relève du canapé. Perdue, choquée et terrifiée par cette annonce, je les remercie pour le chocolat et quitte l'immeuble. Il faut que je réfléchisse calmement à tout ça...Mes pas me mènent sur le chemin de Central Park. Je devrais probablement m'excuser ? J'ai dû lâcher une flopée de choses embarrassantes et dénuées de sens. Lui ai-je mal parlé ? Non mais quelle idiote je fais !
Je m'affale sur un banc et extirpe mon téléphone de ma poche. Un mail serait adapté pour des excuses ? Il m'est impossible de lui faire face après ce qu'il s'est passé et encore moins pour lui présenter des excuses. 
Je peste contre moi-même, tapant du pied sur les graviers et ouvre ma boîte mail. Tiens, un mail non lu ? 
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De : Adan Brown
Objet : Poste Secrétaire de direction.
Date : 15 Janvier 2019 à 01:12
À : Naomi Anderson

Bonsoir, mademoiselle Anderson.
Je vous envoie ce mail pour vous informer de votre mutation au poste de secrétaire de direction. 
Je vous accorde une journée complète et libre afin que vous puissiez vous renseigner sur le fonctionnement et les tâches à effectuer sous mes ordres. Vous serez immédiatement interpellée dès lors que vous franchirez les portes de l'entreprise.
Merci de votre compréhension, bonne fin de soirée.
Cordialement Adan Brown.

PS: Être un sale crétin mal fini, arrogant, prétentieux avec bien plus de défaut qu'un humain peut avoir en sa possession, me suffit amplement.

À bon entendeur."

Adan Brown, P-DGB's.Entreprise.
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Je m'écrabouille de honte sur ce vieux banc en bois...Comment ai-je pu me fourrer dans une si mauvaise posture ? Il a donc vraiment travaillé toute une nuit sur mon dossier...J'ouvre un brouillon et tente de mettre les formes pour lui présenter mes sincères excuses mais, je ressemble plus à une pauvre fille qui fait du lèche bottes à son patron qu'à quelqu'un qui est sincèrement désolé.
— Pourquoi est-ce si compliqué d'écrire un mail d'excuse ? Grogné-je entre mes dents, serrées.
Un raclement de gorge me prend par surprise. Je tourne la tête, manquant de me faire un torticolis et saisis le regard pétillant d'une vieille femme. Oh, elle va me prendre pour une folle à parler toute seule, sur un banc et à mon téléphone qui plus est.
— Si vous voulez mon avis mademoiselle, vous devriez arrêter de vous torturer l'esprit comme cela. Tourner autour du pot n'apportera rien de bon.
Je reste sans voix. Une vieille femme qui s'ennuie et qui veut passer son samedi matin à aider une idiote, comme c'est charitable. Serait-ce ma bonne fée ?
— Malheureusement, je ne peux pas. Il s'agit de mon patron. Qui d'ailleurs, n'est pas super loquace alors me voilà dans de beaux draps.
L'ironie de la situation manque de me éclater en fou rire. Ou en pleurs.
— Pour quelle raison lui faites-vous des excuses, dans ce cas ? Je doute qu'il s'agisse d'une simple erreur professionnelle.
— Effectivement, c'est une histoire...compliquée. Ah ! Ça tu peux le dire.
— J'ai tout mon temps vous savez. Oh et puis Zut !
Jeff et Jenna ne m'ont pas été d'une grande aide alors tenter d'y voir plus clair avec une gentille vieille dame ne peut pas enfoncer le couteau plus loin qu'il ne l'est déjà ?

Après avoir arrondi les bords de mes multiples bourdes avec Adan Brown, elle glousse gentiment.
— Eh bien, quelle histoire vous avez raison. N'est-ce pas ?
Maintenant que dois-je faire ? Un câlin et nous voilà devenu amis. Imaginer son visage déconfit après un câlin de ma part me fait pouffer de rire.
— Je n'ai aucune idée de comment lui présenter mes excuses. Je souffle, déprimée.
— Si je peux me permettre, vous devriez lui faire face, les mots devraient sortir tous seuls.
Elle glisse ses mains frêles sur les miennes, accompagnant son doux geste, d'un sourire compatissant.
— Si vous saviez, il est tellement...
Je cherche le bon mot mais elle me devance.
— Froid ?
Je m'immobilise. Très perspicace...ou bien, suis-je facile à déchiffrer ?
— Froid, sans cœur, insensible mais malgré tout, très impressionnant. Et sexy ! Ajoute une petite voix coquine dans ma tête.
— Je doute qu'il soit vraiment comme cela. Me contredit-elle, le ton d'une douceur maximale. Il n'aurait rien fait pour vous aider sinon.
C'est vrai...Il aurait pu me laisser en plan mais il en a décidé autrement. Il a accouru pour me sortir de là...Pourquoi ?
— Vous avez raison...Je dois simplement m'excuser pour...
— Pourquoi s'excuser ? M'interrompt-elle, vous devriez plutôt le remercier.
Le remercier...?

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Haut Niveau - Tome 1 -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant