"Yom Kippour" *
Ils ont jeté le “talith” * sacré
Leur châle de prière
Ils ont quitté la vieille synagogue
Avec grand bruit
Riant et secouant fièrement
Leurs jeunes épaules
Comme pour secouer
Les étoiles la rosée
Qui perlaient à leur jeune rire
A leurs dents blanches
A leurs yeux vifs
A leur âme
Et l’enfant
L’enfant sépharade*
Visage brun aigu
Boucles sombres
Bouche entr’ouverte
Comme la pulpe douce amère
D’un beau fruit sauvage
L’enfant sépharade
L’enfant roi
A posé sur eux le regard humide
De ses yeux immenses
Tout de velours sombre
Sous la soie de ses longs cils d’ombre
Ils ont quitté la vieille synagogue
Avec grand bruit
Dans la gloire de leur mépris
Tout neuf
Les trois jeunes mâles
Ils s’en sont allés
Bras dessus bras dessous
Manger des mûres
Et les joues barbouillées
Bras dessus bras dessous
Riant avec grand bruit
D’un rire bien trop sonore
Ils ont rencontré
Les jeunes paons
Couronnés de leur dédain
Tout neuf
Éclaboussés par la lumière de leur rire
Comme dans une grande gloire
Ils ont rencontré
Trois demoiselles
S’en allant bras dessus bras dessous
Deux vierges folles
Vierges juste ce qu’il faut
Avec au milieu
Une vierge sage
Faussement sage
Et
Sincèrement sage
Aussi
Tiens ont-ils dit
Les petites juives se promènent
Êtes-vous libres ce soir
Demoiselles
Les trois demoiselles
S’en sont allées
Bras dessus bras dessous
Les deux vierges folles
Parlant très fort et riant aux éclats
Et au milieu la vierge sage
Faussement et sincèrement sage
Toute droite vêtue de son dédain
Cils baissés lèvre boudeuse
Mais aux joues deux roses tout effeuillées
Et l’âme gênée honteuse
Toute chiffonnée
Riant sous cape
Ils riaient à grand bruit
Les trois jeunes mâles
D’un rire bien trop sonore
Ceux qui avaient jeté leur “talith” de prière
Mais dans les yeux purs
De l’enfant sépharade
Pas de haine pas de reproche
Car ces yeux-là savent
Ce regard né tout neuf
Hier
Ou il y a des millénaires
Ce regard sait
Que chacun d’entre eux
Ne fait de grands gestes ivres
Ne hausse les épaules
Avec tant de superbe
Que parce qu’il craint le mépris
De ses camarades
Leur dédain “supérieur et viril”
Il sait que chacun d’entre eux
Ne rit si fort
D’un rire bien trop sonore
Que pour étouffer
Ce qui en lui prie tout bas
Pour secouer
Cette lumière étrange
Dont il a honte
Qu’il ne comprend pas
Et qui lui monte à l’âme
L’enfant sépharade sait
Que les coupables ce ne sont pas eux
Les jeunes mâles
Dans leur fausse et trop bruyante superbe
Les coupables sont dans la vieille synagogue
Dans les temples les mosquées les églises
Avec ou sans orgues
Ces hommes et ces femmes
Ânonnant les prières
L’âme ailleurs
Grandes horloges mortes
Martelant pesantes les heures vides de l’ennui
Comme çà par habitude
Au rythme inflexible d’un balancier absurde
Ces hommes et ces femmes
Qui ne savent plus l’enfance
Le rêve peut-être
Pour prier cette lumière
Que l’on appelle
Mahomet Bouddha Christ ou Jéhovah
Ou encore peu importe
Espérance Amour Foi en l’homme
(5-10-72, revu 2008, 2012)
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* "Yom Kippour": Fête juive aussi appelée, "Le grand pardon" durant laquelles les juifs jeûnent pendant 24h, en expiation de leur pêchés et doivent aussi demander pardon aux personnes qu'ils ont offensées.
* "Talith": Châles de prières à franges portés par les hommes.
* Sépharade: Juif du moyen-orient de lointaine origine espagnole, les juifs d'Europe étant appelés "Ashkenaze".
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Lilluvent
PoetryImpossible quête de l'amour fantomatique à l'unique et changeant visage et de la mère morte irrémédiablement perdue. Éternelle adolescence, refus ou incapacité de grandir se heurtant inexorablement au mur de la réalité. Paradoxal désir d'éveil, de p...