2 Les cris

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J'enseignais le français à l'ensemble des classes de 8e du collège d'Eastwood. Ce matin-là, j'abordais avec mes élèves l'importance du libre arbitre et l'impact des choix que nous faisions. Je ne pus m'empêcher d'évoquer le poète Walt Whitman et l'un des films que j'affectionnais particulièrement : le cercle des poètes disparus.

Dans un plagiat théâtral, je reproduisis la scène où le professeur Keating évoque ce qui fait notre humanité. Les jeunes me dévisageaient, intrigués mais ravis.

- "On ne lit pas, ni écrit de la poésie, parce que c'est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l'humanité. Et l'humanité est faite de passion. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l'amour, c'est pour ça que l'on vit... Que le prodigieux spectacle continue et que tu puisses y apporter ta rime. Et vous, quelle sera votre rime ? ».

Je regardai attentivement chacun de mes élèves, puis dans un sourire, répétai la dernière phrase du poète.

A tour de rôle, ils exposèrent avec passion leurs rêves pour leur avenir. S'ensuivit un débat animé sur les raisons qui nous poussent à vivre.

Lorsque la sonnerie retentit, des soupirs se firent entendre. Nous étions loin d'avoir fini le sujet...

- Rassurez-vous, nous poursuivrons la prochaine fois ! Leur criai-je avant de les voir rejoindre le réfectoire.

Comme souvent, je partis déjeuner au Parc Little Jones, située juste en face du collège. J'aimais profiter du silence environnant avant mes cours de l'après-midi.

Assise sur un banc, je repensais aux paroles que j'avais dites ce matin à mon père. Je m'en voulais d'avoir été si impulsive, surtout avec le sujet que je venais d'aborder en cours...

Mon père avait toujours voulu me protéger. Il m'avait appris, depuis toute petite, à jauger instantanément les risques de mon environnement et à réagir si besoin.

Il me répétait à longueur de journée :
- Quoiqu'il arrive, tu dois toujours faire face. Dans la vie, il y a deux types de personnes : ceux qui baissent les bras et ceux qui se relèvent, quelque soit la situation. Je veux que tu fasses partie de la deuxième catégorie, Kitty.

J'aimais mon père plus que tout alors pour lui faire plaisir, j'apprenais avec attention tout ce qu'il m'enseignait et lui montrais tout ce dont j'étais capable. Il était maintenant à la retraite mais je savais que son métier de flic lui manquait cruellement.

J'avais hérité de son tempérament et ma fille aussi... Les fêtes de famille étaient toujours animées, sacrément heureuses et sacrément bruyantes. C'était sûrement pour cette raison que j'aimais tant le silence et la solitude. Il fallait compenser nos éclats de voix... que ma mère supportait depuis 35 ans avec un calme exemplaire.

Des cris m'arrachèrent à mes pensées. Je cherchai leur provenance. Sans que je ne le veuille, j'étais déjà debout, le souffle court, les sens en éveil. Ce qui était au départ des cris diffus se transforma en véritables hurlements.

Je perçus la peur dans le regard des quelques passants autour de moi. Au bout de l'allée, un couple se mit à courir dans ma direction, comme s'il fuyait quelque chose.

Il ne fallait pas rester là. Mon père, s'il avait assisté à la scène, m'aurait dit de bouger. La survie est dans le mouvement, se plaisait-il à rabâcher. Je n'aurais jamais cru en faire l'expérience.

J'étais presque arrivée à la sortie du parc lorsque je sentis une présence derrière moi.
Le couple se rapprochait rapidement. Il ne fuyait pas quelque chose mais quelqu'un... Puis tout se passa très vite : la jeune femme tomba, son compagnon s'arrêta pour l'aider à se relever, mais il était déjà trop tard, leur poursuivant se jeta sur la femme et la mordit au visage. L'homme chercha à l'en dégager mais l'assaillant se retourna et le bascula au sol.

Je n'oublierai jamais ce que je vis ensuite : un homme était en train d'en dévorer un autre sous mes yeux.

La jeune femme gémissait. J'allais m'approcher d'elle lorsque la "chose" leva les yeux vers moi, du sang plein la bouche et le regard fou, puis replongea ses crocs dans la chair...

Je regardai autour de moi : des gens fuyaient de partout, hurlaient, tombaient...

Alors j'optai pour la seule solution possible : courir pour rejoindre ma voiture située à quelques mètres de là.

Live Die Love - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant