Mon corps se matérialise lentement et je sors de ma torpeur. Mon premier réflexe est de regarder mes mains pour m'assurer que je suis bien complète, avec la même crainte de ne pas m'être totalement réincarnée. Mon second est d'allumer mon téléphone pour voir la date, et ainsi évaluer combien de temps j'ai passé dans les vapes. Le téléphone affiche le 22 octobre 2019, 19h43. Je n'ai donc disparu que pendant quelques heures. Pas assez pour alerter grand monde, mais bien assez pour que Thomas s'en rende compte.
Je me décide donc à rentrer le plus rapidement possible, ce sera mieux que de répondre aux trois messages qu'il a laissé sur mon répondeur. J'avance mon pied droit et manque de trébucher. Je me raidis pour m'empêcher de tomber et je souffle. Ça fait longtemps que je ne me suis pas réincarnée, je dois reprendre mes marques.
Un pied devant l'autre, mes pas défilent maintenant seuls. Les bonnes habitudes reviennent vite, songe-je avec un sourire.
Quand j'ouvre la porte de l'appart, je suis accueillie par le son du jeu vidéo de mon frère. Je dépose mes clés dans l'entrée, accroche mon manteau et m'avance dans la petite pièce à vivre, comme si tout était normal.
Thomas est affalé sur le canapé, une manette de jeu entre les mains. La table basse porte un verre d'eau semi-entamé et la pochette du jeu auquel il joue. C'est bien mon frère ça, jouer à des jeux de guerre sans jamais déroger à son verre d'eau si sain.
Non honnêtement, je suis loin d'avoir un mauvais model. Mais ce n'est pas lui qui m'a créée, il m'aide seulement à garder les pieds sur terre. Et je devrais peut-être un peu plus l'écouter...
- Pas de cicatrice cette fois ? Remarque-t-il avec une moue dédaigneuse en me fixant dans le reflet de la télé.
- Personne ne m'a vu, pas besoin, je déclare avec suffisance.
Oui, c'est ça le problème d'être immortel. C'est que quand quelqu'un me voit mourir, il ne doit pas me reconnaître vivant encore après. Je suis donc passée maître en automutilation faciale pour déformer mon visage qui se reconstitue tout le temps parfaitement lisse. Bon, je sais aussi me maquiller bien-sûr. Et je ne parle pas des différentes teintures que je peux utiliser, même si dans ce cas, c'est plus parce que c'est les seules occasions pour lesquelles Thomas me laisse me faire des couleurs. Nous avons aussi déménagé une fois avant de revenir ici, mon frère est très attaché à nos racines. De toute façon, personne ne me reconnaît jamais.
- On mange quoi ? Je demande en sautant sur le canapé, déjà rivée sur mon portable.
- Anaïs, tu devrais prendre tout ça plus au sérieux, me reproche-t-il en mettant pause à son jeu.
- Quoi la bouffe ? Je suis sérieuse tu sais, j'aimerai vraiment savoir ce qu'on va manger ce soir, réplique-je avec un sourire espiègle.
- La mort n'est pas si banal, relève-t-il en soupirant sans considérer ma dernière remarque.
- Elle l'est si on le veut, conteste-je avec une nouvelle ferveur. Que veux-tu, pour moi mourir est aussi futile que d'aller acheter une baguette de pain. Alors je parle de ça comme tel.
- Que tu puisses revivre ne signifie pas que tu dois mourir Ana, fait remarquer mon frère.
Je hausse les épaules, indifférente.
- Bah autant en profiter quand même.
Mon frère soupire avant de se décider à me faire changer d'avis.
- Ce n'est pas parce que tu as l'argent pour que tu vas acheter le tout nouveau portable, raisonne-t-il. Tu peux, mais ce n'est pas une raison pour le faire.
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Jusqu'à la mort
Historia CortaImmortalité : Qualité surnaturelle d'un être qui ne meurt pas. Moi, je rajoute que c'est plutôt utile pour s'amuser. Chacun sa définition. Mais quand la peur de la mort ne nous protège plus, ce don se transforme vite en poison. L'immortelle part en...