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Après avoir longuement observé leur lame, je jette les ciseaux dans ma corbeille. Je les regarde pensivement s'enfoncer entre les feuilles de papier sans rien ressentir. Je ne me suis pas coupée, et je ne me suis pas tuée. Pourtant, dieux sait que j'aurai pu.

Deux coups font alors trembler ma porte, et Thomas l'entrouvre. Il me regarde penchée au dessus de la corbeille et déclare, comme si tout était normal :

- Viens au salon Ana, j'ai besoin de quelqu'un pour me battre à Mario Kart.

- Davide et Basil ne sont pas dispo ? Je demande en levant un sourcil.

- Non, ils viennent de se déconnecter, répond-t-il avec un semblant d'ennui.

Je hoche la tête. Il sait bien que je ne le crois pas. C'est toujours comme ça quand on doit se réconcilier. Nos nombreuses disputes finissent devant la télé, une manette dans les mains. De toute façon j'en ai déjà marre de bouder. Il ne me dira rien et je ne ferai pas plus attention à moi, balle au centre. Alors autant enterrer la hache de guerre.

- Bon ok, je cède dans un soupire. Si t'as vraiment besoin que je te mette la pâté...

Il me sourit et repart dans la salon. Le cœur plus léger, je jette un dernier coup d'œil aux ciseaux enfouis sous les papiers et je quitte ma chambre. Je suis déjà morte aujourd'hui de toute façon, j'ai eu mon compte. Et puis après tout, profiter de la vie veut aussi dire profiter des vivants tant qu'ils le sont. Et je ne commettrai pas l'erreur de laisser filer mon frère.

* * * *

- Anaïs ! S'écrit Lilou en me voyant arriver au lycée.

Je lève rapidement la tête et lui sert mon plus grand sourire. Enfin la voilà ! Je ne l'ai pas vu depuis le début de la semaine.

- Lou ! Alors, ça va mieux cette gastro ? Je lui demande avec espièglerie.

- C'était une otite banane, et ça faisait mal...

- Et toi, tu te rends compte du mal que tu m'as fait à me laisser seule ?

- T'es trop attachée ma belle, faut te sevrer, déclare mon amie sur le ton de la rigolade.

Je baisse la tête comme si elle m'avait vexée, contenant avec peine le sourire qui me chatouille les lèvres.

Lilou s'approche de moi et me prend une mèche de cheveux qu'elle commence à entortiller. Sa main se crispe alors en plein geste et je relève la tête.

Elle me regarde, tout enthousiasme passé sur son jolie visage, et me montre une mèche blanchie de ma chevelure blonde. Elle sait aussi bien que moi à quoi c'est dû, et elle sait aussi que je ne l'avais pas vendredi dernier. La conclusion s'impose d'elle même dans son esprit.

- Tu vois, t'as vraiment trop besoin de moi, répète-t-elle d'une voix plus fade.

Je souris pour la rassurer et je me dégage.

- Mais je suis toujours là, fais-je avec un clin d'œil complice.

Elle sourit et secoue la tête, puis passe déjà à autre chose. C'est ça que j'aime bien chez elle, elle ne s'attarde jamais sur les faits fâcheux. Sa légèreté et son enthousiasme m'apaisent beaucoup par rapport à l'esprit conflictuel de mon frère. Mais je sais aussi que comme lui, mes morts à répétition l'inquiètent. Elle prend sur elle c'est tout, et je lui en suis très reconnaissante.

- Oui, toujours là et heureusement pour moi ! Déclare mon amie en se décalant. La reprise de l'histoire sera dure, je vais avoir besoin de toi pour passer le temps.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant