4

44 14 79
                                    

- Immortelle ? Répète-t-il avec étonnement.

- Oui c'est ça, je confirme avec sérieux. À part si pour toi, pouvoir se tuer et revivre indéfiniment porte un autre nom...

- Non, on a l'air d'avoir la même définition, raisonne-t-il. Qu'entends-tu par "se tuer" ?

- Bah s'égorger, se pendre, sauter d'une falaise de plusieurs centaines de mètres, ou même se jeter dans une rivière en cru du haut d'un pont, je liste avec ironie. Tu veux que je continue ? Je manque pas d'imagination dans ce domaine.

- Ça suffira, s'empresse-t-il de me couper, mal à l'aise. T'as tout essayé ?

Je me perds un instant, dubitative. Ce ne sont pas les premières questions auxquelles je m'attendais après une telle révélation. Quelqu'un de censé m'aurait rit au nez, pourquoi lui est si sérieux ? Ça m'aurait bien arrangé qu'il ne me crois pas, on aurait rit puis passé à autre chose. Il aurait aussi pu me prendre pour une folle, c'est une autre possibilité. Mais dans un cas comme dans l'autre, il m'aurait laissé tranquille. Ça m'embête bien qu'il m'ait vu à l'œuvre, il est obligé de me croire maintenant...

- À peu près ouai, je confirme d'un hochement de tête.

- Et tu es toujours là... Constate-t-il en reposant sa fourchette. Tu peux vraiment mourir quand tu veux ?

- Si ça ne dépendait que de moi oui, je lui réponds en hochant les épaules. Mais je suis accompagnée de personnes qui ne tolèrent pas trop tout ça...

- On a peur An' ! Se justifie brusquement Lilou, se sentant agressée. On ne sait pas si tu reviendras éternellement.

- Tu sais ce qu'on dit, on peut pas savoir tant qu'on a pas essayé, je réponds d'une voix lasse. Je t'ai déjà dit ce que je ressens : ça marchera toujours.

- C'est pas la peine que tu paie de ta vie pour vérifier une stupide impression ! S'insurge mon amie d'une voix forte. Tu ne peux pas te comporter en fille normal pour une fois ? Arrête d'être obsédée par ça ! C'est pas comme ça que tu profiteras de ta vie...

Je hausse les sourcils, surprise par le soudain engagement de mon amie dans cette histoire.

- Je croirais entendre mon frère... Je souffle avec déception.

Elle me regarde avec détermination et ne semble pas prête à s'excuser. Mais je ne peux pas lui en vouloir. C'est mon amie, et elle a le droit de s'exprimer. Même si, pendant cet instant, je ne retrouve plus ma Lilou joyeuse sous les traits de cette fille révoltée.

Charly, qui avait suivi notre échange silencieusement, trouve un moment pour réagir.

- Impressionnant cette histoire de morts, commente-t-il calmement.

- Pas quand tu tiens à elle, r-attaque Lilou avec un regard noir.

Elle a décider de régler ses comptes c'est ça ? Alors c'est partie...

- Mais quand t'as confiance en elle, ça peut l'être, je réplique froidement.

- Sauf que vu qu'elle ne sait pas ce qu'elle fait...

- Elle sait très bien ce qu'elle fait !

- Mais personne ne sait ce que tu fais An' ! Affirme-t-elle plus fort. Personne n'a jamais été comme toi, on ne sait pas comment ça finira ! Alors vas pas me dire que t'es sûre de quelque chose...

- J'ai confiance en ma nature, et ça me suffit, j'expose d'un ton neutre. Vous ne pouvez pas comprendre ça vous, mortels que vous êtes...

Lilou semble bouillir de rage, mais elle se retient admirablement bien. Pourtant il faut dire que je la provoque.

- Tu es humaine An', et je m'inquiète pour toi, dit-elle doucement.

- Humaine, je n'en suis pas sûre... Et je ne te demande pas de t'inquiéter. Ais juste confiance.

Son regard s'adoucit devant ma rancœur.

- Je te fais confiance ma poule, me rassure-t-elle en m'attrapant la main. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir peur de tout ça.

- Vous savez, coupe encore Charly, je peux peut-être vous aider à savoir l'étendue de ton don Anaïs.

Nous nous retournons immédiatement vers lui, surprises. Je l'avais presque oublié dans tout ça, et ça m'embête qu'il y ait assisté. Lui par contre, ça ne semble pas le gêner.

- Mon père est chaman je vous ai dis, fait-il simplement. Les histoires de mort, il connaît. Et il tient absolument à m'y former.

- Ça veut dire que... Commence-je, sans savoir comment finir.

Il croise ses mains et m'annonce, m'hypnotisant de ses yeux noirs :

- Ça veut dire que je peux peut-être voir combien de vies il te reste.

* * * *

Nous nous engouffrons rapidement dans la salle de classe et je referme la porte à clé. Je remercie intérieurement le hasard pour nous avoir laissé cette classe ouverte sans personne à l'intérieur. Sinon on aurait fini dans les toilettes. Et faire un rituel satanique pour savoir dans combien de vies je vais réellement mourir n'est pas vraiment le truc à faire dans les toilettes mixte du lycée. Ce serait bien moins sérieux.

Charly prend rapidement les commandes. Il est déjà en train d'organiser les tables, ayant ordonné à Lilou de fermer tous les volets. J'allume la lumière et je vais aider mon amie, laissant Charly à sa composition mystique.

Ce dernier est efficace. Il a déjà disposé trois tables en rond, face à face, et a posé son portable allumé sur l'une d'elle.

- Je vous en pris mesdames, asseyez vous, fait-t-il d'un ton faussement important en présentant les deux autres tables de la main.

J'échange un regard inquiet avec Lilou et nous nous avançons. Les dès sont jetés.

Charly part éteindre les néons et nous plonge dans le noir, seulement éclairés par la lampe de son portable. Nous nous retrouvons à peu près dans la même ambiance que lors du passage d'un film. Sauf que là, c'est une toute autre scène qui va se jouer.

Le noiraud revient et s'assoit maladroitement. Il place son téléphone au sol, entre les tables, de sorte que le rayon de lumière soit au centre. Il prend ensuite une sorte de chewing-gum dans son sac et commence à le mâcher en tendant les mains vers le milieu.

Je regarde ma meilleure amie avec confusion. Je ne suis jamais allée chez un voyant ou autre obscure prédicateur, mais je suis presque sûre que ça se passe pas comme ça normalement. Charly reste incroyablement lucide, pianotant des doigts sur la lumière les yeux fermés. Il n'est à aucun moment agité de tremblements, ne psalmodie rien et respire normalement. Ça ne ressemble pas à ce que j'attendais.

Au bout de nombreuses minutes, notre compagnon ouvre enfin les yeux.

- Désolé, j'ai pas encore le talent de mon père avec les esprits, s'excuse-t-il. Je n'ai pas réussi à leur parler, mais il faut dire que je n'ai pas non plus eu à chercher si loin pour trouver ce qui clochait...

- Et donc ? S'inquiète Lilou.

Moi, je reste bouche bée. Quelque chose cloche ? Ça n'annonce rien de bon. Mais il a réussi à savoir quoi visiblement, et ça m'impressionne encore plus. C'est tellement étrange, et ça semble si normal pour lui.

Charly laisse planer un petit silence, le regard emplit de malaise. Ses yeux noirs se posent un instant sur moi et j'ébauche un petit sourire, l'encourageant du mieux que je peux. Il peut nous dire ce qu'il veut, ce ne sera jamais plus bizarre que ce que je vis.

- Eh bien, nous sommes trois dans cette pièce, observe-t-il calmement. Le problème, c'est que je ne sens la présence que de deux vivants.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant