Je fais une douche, me lave les dents, me brosse les cheveux et me couche. Il fait chaud. J'ai du mal à dormir. De toute façon, je suis en vacances, je peux faire une grasse mat' demain. Je reste toute la semaine, alors ça risque d'arriver souvent, les impossibilités de dormir à cause de la chaleur. Je finis par m'endormir.
Mon père attrape mon poignet. Il le serre fort, j'ai l'impression qu'il va exploser. Il est rouge de colère. Je lui ai dit une vilaine chose. Je ne l'ai pas vanté. J'ai oublié que mon rôle était de lui lancer des fleurs, de le laisser se reposer sur ses louanges. De faire sa pub. J'ai cinq ans.
Ilme soulève par le poignet qu'il serre d'une main de fer. Il me jette violemment par terre.
-On ne dit pas de mal de son père. Tu as été méchante, Jeanne. Tu mérite une punition. C'est pour ton bien. Tu vas voir, tu vas me remercier, quand tu seras plus grande.
Il met sa grande main sur ma bouche et mon nez. Il met l'autre main sur mon ventre, et me serre contre lui. Il m'empêche de respirer. Je me débat. J'ai les poumons en feu. J'essaye de crier. Je ne fais que perdre de l'air. Il bouge sa main et libère un coin de ma bouche.Puis il me lâche. Je tombe au sol, et je reprends ma respiration. Je souffle fort. Je pleure en même temps. Il sort du salon en claquant la porte. Je lui avait juste tiré la langue.
J'ai huit ans. Mon père crie. Je me rapproche et regarde par la porte entrouverte du salon. Je vois ma sœur.
-Mais tu es complètement inconsciente, pauvre fille ! La mère de Camille (une copine à Tallia) m'a appelé. Elle a dit que tu avais dit que j'avais étouffé Jeanne !
-Excuse-moi !
Ma sœur supplie mon père. Elle fond en larmes. Il la prend par le cou,et ma sœur s'étouffe très vite.
-Arrête !
Je mets une main sur ma bouche. Je viens de rentrer dans la pièce,d'interrompre et de donner un ordre à mon père.Il lâche Tallia.
-Toi ! Viens là !
Je ne bouge pas, terrorisée.
-Jeanne...tonne-t-il.
Ce n'est pas de le mauvaise volonté, c'est juste que je suis paralysée de peur.
Il arrive. Il me prends par le cou et me jette contre une commode en bois massif. Je gémis. Il me bourre de coups. Son visage est crispé par la colère. Il est rouge. Il ressemble à un monstre.
-Vous n'avez pas intérêt à bouger, à pleurer ou à vous plaindre.Will va vous garder. Ce sale gamin du haut de ses treize ans, il doit bien être capable de vous garder.
Il sort de la maison et claque la porte. Il est parti pour son voyage en Allemagne, qui durera deux jours. Tallia et moi restons dans le salon, attendant notre frère. On reste comme ça deux minutes, puis Will arrive. Il a le sourire. Il nous voit et lâche son sac de collège. Son sourire retombe, et son visage prend une expression affolée. Il court dans la cuisine. Il revient avec des poches de glace, des médicaments, des liquides. Il prend son portable, et s'occupe de Tallia, après avoir regardé les premiers secours, je suppose. Il la porte sur son lit, qui se trouve dans la même chambre que Will et moi.Je reste seule dans le salon, pendant deux minutes,le temps qu'il donne un sirop qui fera dormir Tallia, et qu'il la console. La pauvre. Elle avait cinq ans. Elle ne comprenait rien, etc'était pareil pour moi. Il revient. Il met du désinfectant sur les plaies. Ca pique un peu., mais ce n'était pas le pire ce jour-là.Il me donne des médicaments. Il me porte dans mon lit. Arrivés à destination, il me recouvre de ma couette et me donne une cuillère de sirop au goût de cookie. Je me souviens d'avoir pleuré. Je me souviens qu'il m'a consolé.
Je me réveille les joues mouillées de larmes. Stupide cerveau qui me fait revivre ces souvenirs. Il fait trop chaud dans cette stupide chambre. Chaque année, ma nuit d'anniversaire me fait revivre des souvenirs. En treize ans, je n'ai jamais eu de mauvais rêves comme ça. Ce n'était que des bons souvenirs jusqu'à maintenant. Je ne supporte plus ces souvenirs. Ils sont bien enfouis dans ma mémoire.Enfin, jusqu'à maintenant, ils l'étaient.
Je me lève. J'enfile mon maillot de bain deux pièces, un t-shirt blanc, un jean gris et chaud, un pull noir et des chaussettes. Je prend mon collier, et je l'enfile. Je me lève discrètement. Mon père ne risque pas de m'entendre, il a sa propre suite à l'étage.J'enfile mes baskets noires. J'ouvre la porte d'entrée, et sors. Il n'y a pas d'air. Le temps est lourd.
Cette maison est la maison de vacances de mon père. On y vient tous les ans. Avec Tallia et Will, un jour, après une crise de colère de mon père, on n'arrivait pas à dormir. Will était monté dans la petite forêt, dans laquelle un ruisseau passe. A mon tour, j'y étais allée, sans savoir qu'il y était. Ma sœur me suivit, et c'est ainsi que l'on se retrouva tous les trois dans la forêt. Mon père ne l'a jamais su. Cette nuit-là, on a construit une cabane pour se changer les idées.
J'espère que Tallia et Will n'y sont pas. J'aimerais être seule. Sortie de la maison, je m'avance de quelques pas de loups, puis je pique un sprint pour me défouler.
Je retourne dans la cabane. C'est la première fois que j'y retourne,cette année. On la rafistole chaque année. Dans la cabane, il y aune table fabriquée avec des cageots et du bois. Autour, il y a quatre rondins qui font office de bancs. Clouée à la table, une petite fiche avec l'écriture rondelette de Will et trois signature.Notre pacte.
Nous,Will, Jeanne et Tallia Lesaule, jurons de se retrouver ici en cas de détresse, de tristesse ou d'insomnie, pendant les vacances que nous passons ici chaque année.
Will Tallia Jeanne
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Jeanne
AdventureC'est l'anniversaire de Jeanne aujourd'hui. Elle doit faire comme si tout allait bien. Mais, arrivée la nuit, elle fait un rêve, un rêve qui va lui rappeler des souvenirs.